Chronique politique

Attention aux lobbyistes du climat

Les danois doivent changer de voiture et acheter une voiture électrique. Mais y a t'il suffisamment de métaux rares dans le sous-sol pour toutes ces batteries? (Photo: Ole Berg Rusten - Scanpix)

(Weekendavisen 17/07/2020 - Frede Vestergaard): Commentaire traduit par Luc de Visme

2030 . Le maillot vert ne doit pas être utilisé abusivement. C’est pourquoi une taxe carbone uniforme est si importante.


Le Danemark a comme l’on sait l’objectif de réduire les émissions de CO2 de 70% par rapport à 1990 à l’horizon 2030. C’est un objectif plus ambitieux que celui de l’UE entre autres, et cela n’a aucune importance pratique puisque le Danemark ne correspond qu’à 0,1 % des émissions de CO2 dans le monde, si on ne tient pas compte des émissions de CO2 des produits importés au Danemark.

Puisque l’implication du Danemark n’a pas d’influence sur le climat, la raison de cet objectif danois élevé est donc devenu que le Danemark doit être devant les autres avec le maillot vert, faire preuve d’une « aptitude globale pour diriger » ou d’autre qualifications positives. L’idée c’est que le maillot vert du Danemark aura pour mission d’animer les autres pays à nous imiter. Est-ce que ce sera le résultat, on n’en sait rien. C’est une devinette. Depuis le temps qu’on parle de porter le maillot vert et qu’on a réduit la plupart des émissions de CO2 au Danemark, les émissions globales se sont accrues de plus en plus – également depuis l’accord de Paris. Avant l’arrivée de la pandémie du corona les émissions provenant des combustibles fossiles étaient environ 60% au-dessus du niveau de 1990 – et environ 5% au-dessus du niveau au moment de l’accord de Paris en 2015. En plus, la concentration de CO2 de l’atmosphère a augmenté de 355 ppm en 1990 jusqu’à 415 cette année.

Les politiciens de toutes couleurs [politiques] parlent toujours du maillot vert, même s’ils avouent qu’ils ne savent pas comment on va atteindre 70% de réduction d’ici 2030. Et ce manque de certitude fait que les lobbyistes ont plus de facilités à mettre la main dans la caisse de l’état ou la poche des citoyens. L’industrie éolienne l’a fait très facilement depuis des années. Récemment avec l’accord politique d’établir de soi-disant iles énergétiques avec des champs d’éoliennes offshore dans les régions à faible profondeur respectivement dans la Mer du Nord et la Mer Baltique.

L’aide aux pays en développement et aux luttes climatiques est également infiltrée par les lobbyistes de l’industrie éolienne. Le Danemark veut envoyer pour 500 millions de couronnes (67 millions €) d’éoliennes à l’Ethiopie. Il y a vraiment besoin d’électricité en Ethiopie, qui vient de terminer une énorme centrale hydraulique sur le Nil Bleu avec une capacité de 6000 mégawatt (correspondant au cinquième de l’énergie hydraulique de la Norvège). Mais si le Danemark à la place installait des panneaux solaires (produits en Chine) avec des batteries rechargeables pour les cabanes et les petites maisons, beaucoup plus de gens en profiteraient. Parce qu’il ne suffit pas d’installer des éoliennes, il faut aussi tirer des câbles sur de longues distances et cela coûte cher. C’est possible que l’Ethiopie préfèrerait recevoir une aide pour son programme de plantations, qui consiste à planter quatre milliards d’arbres dans les prochaines années. On estime qu’il y a 70 ans les 35-40% du pays étaient couverts de forêts comparés aux quatre pourcent aujourd’hui. Cela a changé le climat au point qu’il y a de la sécheresse régulièrement. On a abattu les forêts pour avoir du bois pour le chauffage et pour pouvoir cultiver plus facilement la terre au fur et à mesure de l’accroissement démographiques de 18 millions en 1950 à 115 millions aujourd’hui et probablement 170 millions en 2050.

Une fois que le lobby de l’industrie éolienne a pris son morceau, c’est au tour de l’industrie automobile de faire pression. A l’automne prochain les politiciens devront négocier la réduction des émissions de CO2 provenant du transport. Les importateurs de voitures danois proposent que Copenhague, Aarhus, Odense, Aalborg, les quatre grandes villes danoises, étendent ou créent des zones environnementales pour en réalité rendre environ un million de voitures ou camionnettes totalement inutilisables de 2023 à 2025, même si elles ne sont pas usagées.

Une idée qui est « vendue » au nom du climat. L’argument c’est que des voitures neuves polluent moins et émettent moins de CO2.

Il est clair que cela va donner un plus grand revenu aux importateurs de voitures dans les années qui viennent, mais est-ce vraiment intelligent ? Cela suppose une perte économique pour la société de se débarrasser de toutes ces voitures qui ne sont pas encore mûres pour être envoyées à la casse. Et cela coûte aussi des émissions de CO2 de produire de nouvelles voitures. Même si ces émissions ne se font pas au Danemark, le problème est entier puisque le carbone est un problème global.

Est-ce que cela réduira les émissions de CO2 du transport d’obliger les gens à acheter de nouvelles voitures ? Pas nécessairement parce que les gens ont tendance à acheter des voitures plus puissantes qui émettent plus de gaz carbonique. Les chiffres de l’agence européenne pour l’environnement EEA sont parlants. Les derniers datent de 2018 et montrent que les émissions de CO2 dues aux ventes de voitures neuves ont augmenté à nouveau en 2018, après avoir augmenté en 2017. Cela est dû à une vente plus forte des SUV en même temps que la vente des voitures diesel qui a diminué a été remplacée par des voitures à essence qui font moins de km au litre. D’après l’EEA les émissions moyennes de CO2 provenant de nouvelles voitures enregistrées dans l’UE et la Grande Bretagne ont augmenté de 2.3 g de CO2 par kilomètre pour atteindre 120,8 grammes en 2018.

C’est là que les importateurs disent que les consommateurs n’ont qu’à acheter des voitures électriques ou semi-électriques, les voitures soi-disant hybrides. Oui, mais les voitures électriques ont besoin de batteries et cela suppose d’énormes émissions de CO2 pour extraire les métaux utilisés dans les batteries. On ne peut pas non plus produire indéfiniment des batteries dans les années à venir.

Si on imagine que les 1.5 millions de voitures électriques recommandées par le Conseil du Climat en 2030 soient toutes équipées d’un petit bloc batterie comme la BMWi3 avec une autonomie d’environ 260 km, la consommation de cobolt, de lithium et de graphite pour produire ces batteries d’ici à 2030 atteindra respectivement 18000, 9000 et 52000 tonnes. Ces chiffres sont conservatifs si l’on pense que la plupart des voitures électriques ont des batteries beaucoup plus fortes, et que les Li-ion batteries sont utilisées de plus en plus pour beaucoup d’autres applications. Le géologue Per Kalvig du Centre pour les matières premières minérales GEUS pense qu’avec la capacité actuelle des mines de cobolt, lithium et graphite il sera très difficile de se procurer suffisamment de matières premières pour les 230 millions de voitures électriques qui sont l’objectif pour le monde en 2030. Cela suppose une accélération de la recherche de minéraux si l’on veut que l’exploitation de ces nouvelles matières premières soit garantie.

Une grosse partie de l’exploitation du cobolt se fait en réalité dans des conditions terribles en République du Congo et les batteries sont produites pour la plupart en Chine. L’industrie automobile européenne est actuellement mise hors-jeu.

Comment peut-on éviter que les lobbyistes comme les producteurs d’éoliennes et les importateurs de voitures ainsi que les politiciens avec des idées fixes sur la façon d’agir (comme par exemple l’interdiction des vols intérieurs) arrivent à contrôler les politiques du climat et de l’environnement ?

On peut le faire en introduisant une taxe carbone uniforme progressive sur toutes les émissions de CO2 au Danemark. Ce ne sont pas tous les partis ni toutes les branches d’intérêts qui sont d’accord là-dessus, mais c’est le moyen le meilleur marché et le moins bureaucratique pour atteindre l’objectif. On peut supprimer de nombreux postes au ministère du climat et de l’environnement, parce que la taxe fera le travail toute seule. On peut éventuellement en reverser le provenu aux citoyens comme dans l’état de la Colombie Britannique du Canada. Et pour éviter que la production soit transférée à l’étranger, on peut pour le moment combiner la taxe carbone à un plancher fiscal par exemple pour la production de ciment, de façon à ce que la taxe ne touche que la dernière partie de la production sans faire perdre l’incitation à réduire les émissions de CO2.

Une taxe carbone uniforme pour toutes les branches industrielles pourra mettre les lobbyistes échec et mat.

https://www.weekendavisen.dk/2020-29/samfund/pas-paa-klimalobbyisterne

Observations sur La Mobilité et les Transports de l’Europe d’Après

Luc de Visme, Secrétaire Fédéral pour la Mobilité et les Transports de la Fédération des Français de l’Etranger.

(05/07/2020)

La Mobilité et les Transports est l’un des sujets les plus importants de notre vie actuelle et future, d’abord parce que une de nos libertés fondamentales est de pouvoir nous déplacer mais aussi parce que c’est le secteur qui a été le plus touché dans la crise que nous vivons. Mais l’idée que parce que le secteur est « à genoux » et devant des centaines de milliers de pertes d’emploi, il faut tout faire pour le remettre d’aplomb sans aucune condition n’est pas la meilleure réaction. J’essaie ici de contribuer à la réflexion initiée par le Parti Socialiste sur « La Gauche d’Après » en observant pour commencer ce qui se passe dans mon pays, le Danemark qui grâce à une politique de confinement intelligente et efficace (4,5 fois moins de victimes du Covid 19 par million d’habitants qu’en France) a été un des premiers à entamer un déconfinement prudent et prévoit une moindre réduction du Revenu National Brut pour 2020 que le reste de l’Europe. Pour mieux comprendre l’enjeu des problèmes traités et faire d’éventuelles comparaisons, on peut se souvenir qu’il y a en France 11 fois plus d’habitants qu’au Danemark, c’est-à-dire qu’il faut au moins multiplier par dix les chiffres donnés ci-dessous.

Les importateurs veulent « exclure » un million de voitures individuelles des plus grandes villes du Danemark.

Le Danemark ne construit pas de voitures et a donc moins d’intérêts engagés qu’un pays comme la France. Par contre, il peut se permettre d’être plus objectif dans les choix nécessaires pour aboutir à une conversion plus radicale vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les maires qui luttent contre la pollution dans leur ville et les Organisations de préservation du climat reçoivent une aide inattendue. Les importateurs danois de voitures proposent qu’on étende les « zones climats » interdisant les camions des centres villes aux voitures individuelles trop polluantes pour les quatre plus grandes villes du Danemark. C’est une mesure qui existe déjà en Allemagne dans les plus grandes villes. C’est la branche elle-même qui importe des voitures qui fait cette proposition : En 2023 cela touchera les voitures qui ne remplissent pas les conditions énoncées en 2006 (la norme européenne EURO 4) c’est-à-dire environ 600 000 voitures pour le pays. A partir de 2025, ce sera toutes les voitures qui ne remplissent pas les conditions énoncées en 2015 (la norme européenne EURO 6, comprenant les émissions des fines particules NOx) qui seront exclues, c’est-à-dire environ 1 million de voitures individuelles pour le Danemark. La raison pour laquelle les importateurs de voitures se mettent « dans le vent » de la transition climatique, c’est que d’une part ils ne peuvent pas faire autrement, mais aussi parce qu’ils y voient leur intérêt d’obliger les gens à changer de modèle de voiture. Certains diront que ces mesures ne sont pas assez ambitieuses et qu’il faudrait créer des zones émission zéro dans les centres villes pour n’y accepter que les voitures électriques. Le problème c’est que la voiture électrique n’est pas nécessairement la réponse à long terme, parce que la fabrication des batteries essentiellement en Chine consomme énormément de terres rares, qui comme leur nom l’indique sont extrêmement rares. L'extraction et le raffinage des terres rares entraînent le rejet de nombreux éléments toxiques : métaux lourds, acide sulfurique ainsi que des éléments radioactifs (uranium et thorium). ... À cette pollution s'ajoute la radioactivité.

Faut-il « sauver » le transport aérien à tout prix ?

C’est un sujet très actuel dans tous les pays. Les compagnies aériennes sont tombées à pratiquement zéro de revenus pendant la crise du Covid 19, les passagers sont restés chez eux, la reprise se fait très lentement dans certains pays mais avec des restrictions. On pense que la branche mettra plusieurs années à s’en remettre sans parler des constructeurs d’avion comme Boeing et Airbus, qui vont être obligés de réduire la voilure pour de nombreuses années. Les états se sont empressés de promettre des « paquets » d’aide par dizaines de milliards d’euros pour essayer d’aider les entreprises à passer le cap. Mais faut-il le faire sans conditions ? Là c’est dommage de ne pas poser de conditions comme on l’a fait en France. Ce n’est pas sûr que cela évite de perdre des emplois – Dès que les entreprises ont reçu de l’aide, elles mettent les gens au chômage quand même et les syndicats qui ne peuvent pas faire autrement essayent de négocier des baisses de chiffres de mises à pied.

Au Danemark, les négociations sont en cours avec SAS dont les deux états la Suède et le Danemark sont les actionnaires principaux. Certains partis ont demandé comme contrepartie d’une aide complémentaire de plusieurs milliards d’Euros que les compagnies s’engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre de façon efficace, jusqu’à 95 – 100% à l’horizon 2030. Le gouvernement social-démocrate danois a concrétisé un plan d’action suivant ses promesses électorales de l’an dernier de réduire de 70% (soixante-dix) les émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble du pays. A comparer avec la faible ambition de la Convention Citoyenne en France qui veut les réduire de 40% seulement en 2030 ! Le secteur aérien pense que ce serait possible d’atteindre une telle réduction en soutenant la recherche sur les nouveaux carburants électro-combustibles, qui utilisent le gaz carbonique de l’atmosphère et l’hydrogène produit par les éoliennes. Les danois ont un problème : quand il y a du vent, leurs éoliennes principalement en mer produisent trop de courant. Cela couvre de temps en temps jusqu’à 130% de leur consommation. Donc ils doivent revendre ce surplus de production, mais comme les norvégiens ont le même problème, le prix diminue et ils vendent à perte. C’est pourquoi le Danemark est en train de projeter des iles énergétiques qui récolteront l’électricité des champs d’éoliennes off-shore autour pour la transformer en hydrogène et pouvoir conserver l’énergie et produire du carburant « durable » pour les avions et les paquebots. Tout cela suppose une stratégie à long terme et une volonté politique. La branche elle-même qui continue jusqu’à nouvel ordre à exploiter le pétrole de la Mer du Nord – avec l’aide d’une entreprise française, Total – n’a pas la possibilité d’investir dans de tels projets si elle ne reçoit pas de l’aide de l’état. Mais qui dit volonté politique dit financement.

Reprendre une patate chaude : L’écotaxe (inspiré d’un commentaire de Peter Birch Sørensen, Politiken)

Une chose qui intéresse aussi la mobilité et les transports, c’est l’écotaxe. En France, on s’empresse de parler d’autre chose quand on parle de l’écotaxe. La soit disant Convention Citoyenne, s’est bien gardé d’en faire une proposition, le gouvernement n’en parlons pas et les plupart des partis en France ont écarté cette possibilité. Pourtant au Danemark, il s’est avéré que l’objectif ambitieux d’une réduction de 70% à l’horizon proche de 2030 des émissions des gaz à effets de serre ne pourra pas être atteint sans une forme d’écotaxe ou une autre. Ce qui fait peur en France, cela a été la réaction dite des « Gilets Jaunes » qui c’est vrai a démarré au moment de l’introduction d’une taxe sur l’essence. Mais s’il y a eu des manifestations sur les ronds-points, ce n’est pas uniquement à cause de cette taxe, mais aussi à cause des problèmes sociaux des territoires français, la taxe sur les combustibles, ce n’était que la goutte qui a fait déborder le vase.

Peter Birch Sørensen, journaliste à Politiken pense que la façon dont on utilisera le revenu de la taxe CO2 est déterminante pour mieux répartir la charge socialement. On a vraiment besoin d’une écotaxe pour atteindre les objectifs du gouvernement danois, parce que les autres mesures ne donnent qu’une toute petite proportion des réductions nécessaires d’émissions de gaz à effet de serre. Le texte de l’accord entre les partis préconise que la taxe CO2 doit tenir compte d’un équilibre social et doit être capable de réduire le risque de « fuite de gaz de serre » qui fait que les émissions se déplacent avec la production à l’étranger.

Il prétend que c’est une mauvaise idée de diminuer l’impôt des entreprises pour faire accepter l’écotaxe. Pour les entreprises qui ne sont pas soumises à la concurrence internationale, ce sera simple pour elles de reporter la dépense supplémentaire des combustibles fossiles sur les prix de leurs produits, parce que leurs concurrents sur le marché intérieur danois seront soumis aux mêmes taxes. Ce sera surtout les produits qui nécessitent beaucoup d’énergie qui seront plus chers pour le consommateur. Par contre, les entreprises soumises à une forte concurrence internationale, ne pourront pas faire reporter la charge de l’écotaxe sur leurs prix. A court terme, elles devront réduire leurs bénéfices d’autant. A plus long terme, ce sont les salariés qui supporteront la charge parce que l’entreprise n’aura pas les moyens d’augmenter leurs salaires comme elle aurait pu le faire sans taxe. Mais un allègement de l’impôt sur les sociétés en même temps que l’introduction d’une écotaxe est une mauvaise idée, parce que le revenu de cet allègement ira directement dans la poche du propriétaire ou des actionnaires. C’est l’expérience qui le prouve. Et cette combinaison écotaxe/allègement fiscal va très certainement provoquer une plus grande inégalité sociale sans résoudre le problème des fuites de CO2 vers l’étranger.

La proposition du Think Tank Kraka au Danemark, c’est une réforme de l’écotaxe qui tient compte d’une plus grande justice sociale (les plus démunis payent moins) et diminue le risque de fuite à l’étranger. La proposition utilise les critères actuels de l’UE et du Danemark, suivant lesquels les entreprises très consommatrices d’énergie sont soumises à une forte concurrence avec l’étranger. Ces entreprises bénéficient d’après cette proposition d’un plancher fiscal sur leur écotaxe, de façon à limiter leurs taxes CO2 mais sans enlever leur motivation pour réduire leurs émissions comme les autres entreprises. Le reste des revenus de cette écotaxe est utilisé pour diminuer les taxes énergétiques existantes comme par exemple la taxe sur la consommation électrique qui n’est pas orientée vers une réduction des émissions de gaz de serre. Les taxes énergétiques sur la consommation d’essence ou de diesel par contre sont maintenues pour renchérir les transports basés sur des combustibles fossiles. Comme la structure des taxes sur l’énergie actuellement touche les défavorisés plus que la structure d’une écotaxe, la proposition de Kraka permet de mieux distribuer la charge fiscale sur l’ensemble des revenus, mais elle est plus lourde sur les hauts revenus que les bas. Voir graphique ci-dessous.

Conclusion, il est possible de créer une réforme des taxes sur l’énergie qui soit équilibrée du point de vue revenu disponible sans pour autant prendre le risque d’une expatriation de la production à l’étranger. Et cette écotaxe de 156€/tonne est relativement acceptable puisqu’elle ne dépasse pas 0,2% du revenu disponible pour les faibles et moyens revenus.

Le Danemark, nouveau laboratoire de la gauche européenne ?


Je tiens à préciser que cet article n'engage que son auteur et que je ne suis pas nécessairement d’accord avec ses conclusions. En outre, je n'imagine pas le moins du monde qu'on pourrait faire la même chose en France. Néanmoins, cette analyse est suffisamment juste par rapport aux faits réels que j'ai trouvé utile de le publier ici.

Publié dans Eurocité par Sébastien Poupon: Lien

Seuls six pays de l’Union européenne sont actuellement dirigés par un chef de gouvernement issu de la gauche. Parmi eux, certains sont à la tête d’une coalition précaire et minoritaire, c’est notamment le cas de Pedro Sanchez en Espagne. D’autres, comme Stefan Löfven en Suède ou Antti Rinne puis Sanna Marin en Finlande, ont dû se résoudre à des accords avec la droite pour pouvoir gouverner, dans un contexte délicat marqué par une extrême droite puissante et en plein essor. A ce titre, le Danemark fait figure d’exception : il constitue le seul pays européen dans lequel la gauche a ravi le pouvoir à la droite, obtenu une majorité et fait reculer l’extrême droite. En effet, l’ensemble des partis de gauche qui soutiennent le gouvernement social-démocrate au pouvoir totalisent 49,1% des voix et surtout 91 sièges, soit une progression de 15 sièges, et ainsi la majorité absolue à Christiansborg. Dans le même temps, le principal parti d’extrême droite a perdu près de treize points et plus de la moitié de ses sièges, tombant ainsi à 8,7% et 16 députés. La performance est donc suffisamment remarquable et unique pour s’intéresser au cas danois et analyser les enseignements que la gauche européenne pourrait en tirer.

Elue en 2015 à la tête du parti social-démocrate danois, Mette Fredrikssen a immédiatement mis l’accent sur l’un des principaux problèmes dont souffre l’ensemble des gauches européennes : la désaffection des classes populaires vis-à-vis des partis progressistes au profit de mouvements populistes, en particulier de l’extrême droite qui, au Danemark, venait de dépasser les 20%. Force est de constater que depuis une vingtaine d’années, les partis de gauche obtiennent avant tout les suffrages des classes moyennes éduquées, urbaines ainsi que ceux des minorités. Il s’agit d’une stratégie délibérée, utilisée à l’époque par Tony Blair pour conquérir le sud de l’Angleterre et les classes dites « aspirationnelles », puis théorisée en France par une célèbre note du think tank Terra Nova. De fait, la « Troisième voie » ou le « social-libéralisme » consiste à trianguler sur les sujets économiques en acceptant les données fondamentales du libéralisme, tout en adoptant en contrepartie (même si ce ne fut pas appliqué partout) une politique progressiste sur les sujets sociétaux ou sur des questions telles que l’immigration et le multiculturalisme. Les classes populaires, se sentant moins défendues au plan économique (même si le programme des sociaux-libéraux restait plus social que celui de la droite) et se définissant comme plus conservatrices sur les questions sociétales, ont fini par voter contre leurs intérêts économiques en privilégiant les enjeux culturels sur lesquels elles étaient davantage en phase avec la droite.

Pour répondre à ce défi, Mette Frederikssen et les sociaux-démocrates ont décidé de changer de stratégie. Au plan économique et social, ils sont revenus aux fondamentaux de la social-démocratie et à une défense assumée et revendicatrice de l’Etat providence. Ils n’ont pas hésité à prôner une augmentation des dépenses publiques alors qu’elles figuraient déjà parmi les plus élevées au monde (même si les finances danoises restent saines), ils sont revenus sur les coupes orchestrées par la droite dans les domaines de la santé et de l’éducation et ont fait appel à la solidarité des plus aisés en annulant les baisses d’impôts à destination des plus riches. De fait, le modèle danois a apporté la prospérité à ses citoyens et a permis au pays d’être l’un des moins inégalitaires au monde. Les sociaux-démocrates, qui en furent historiquement les grands initiateurs, ont raison d’en être fiers. Frederikssen a également adopté une approche plus critique vis-à-vis du libre-échange pourtant plébiscité dans les milieux politiques danois et faisant généralement consensus à droite comme à gauche : cette critique de la mondialisation est relativement nouvelle chez les sociaux-démocrates. Elle s’accompagne d’une forte préoccupation environnementale dotée d’un programme ambitieux en matière de réduction des gaz à effet de serre. En revanche, la triangulation a eu lieu sur les questions d’immigration et d’intégration. De ce point de vue, les sociaux-démocrates n’y sont pas allés de main morte lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Ils ont soutenu les lois très dures et très controversées de la droite vis-à-vis des demandeurs d’asile qui prévoyaient par exemple la confiscation d’une partie de leurs biens ou encore l’isolement sur une île des déboutés du droit d’asile. Un certain nombre de progressistes se sont émus de la situation. Pour beaucoup, cette politique dure en matière d’immigration est une erreur : le droit d’asile est un droit fondamental et les classes populaires ne sont pas tant opposées à l’immigration par principe – tant qu’elle reste légitime, raisonnable et régulée – qu’à un certain laxisme vis-à-vis de l’intégration des immigrés dans la société d’accueil. Le problème n’est pas tant économique que culturel et se situe avant tout sur le plan des valeurs. La différence entre la gauche et la droite sur ce sujet doit d’ailleurs être marquée : contrairement à la droite, la gauche est ouverte à l’arrivée de « l’autre » mais elle veut en faire un membre à part entière de la société. Ce qui implique de miser sur l’intégration et sur la promotion de nos valeurs face aux dérives communautaristes et à une certaine conception erronée du multiculturalisme. Les sociaux-démocrates danois ont d’ailleurs grandement insisté sur ce point avec un discours plus offensif que jamais contre l’islamisme et en soutenant une loi anti-niqab et anti-burqua dans l’espace public.

Pour juger de l’efficacité de la stratégie de Mette Fredrikssen, il ne faut pas uniquement analyser les résultats bruts obtenus par le parti social-démocrate. De fait, son score est resté plus ou moins le même et il n’a gagné qu’un seul siège par rapport à 2015. En revanche, la structure de son électorat a beaucoup évolué. On estime que plus de 10% des électeurs qui avaient voté pour l’extrême droite en 2015 ont mis un bulletin social-démocrate en 2019. Il s’agit, pour l’essentiel, d’électeurs issus des classes populaires. De ce point de vue, le pari est donc pleinement réussi. Mais dans le même temps, les sociaux-démocrates ont perdu le même nombre de voix chez les électeurs jeunes et/ou de classe moyenne qui se sont portés sur deux autres partis de la coalition de gauche, l’un social-libéral et l’autre écologiste. Une opération blanche, donc, pour les sociaux-démocrates mais un gain massif pour le bloc de gauche, ce qui lui a ainsi permis d’obtenir une majorité. D’une certaine façon, cette stratégie ne peut donc fonctionner que dans le cadre d’une gauche plurielle lorsque les pertes de voix ont lieu à l’intérieur des blocs et que les gains se font à l’extérieur.

Bien qu’ayant fait le choix de gouverner seuls, les sociaux-démocrates ont dû faire un certain nombre de concessions pour s’assurer du soutien externe des autres partis de gauche. Mette Frederikssen a ainsi adouci son programme, principalement sur l’asile, en diminuant les conditions très restrictives quant à l’exercice de ce droit. Elle est donc revenue sur la disposition du gouvernement précédent concernant l’isolement sur une île des demandeurs d’asile déboutés que l’on ne pouvait renvoyer immédiatement. De cette manière, on peut considérer que le gouvernement a finalement trouvé son équilibre entre le respect d’une tradition d’accueil, notamment vis-à-vis des persécutés dans le monde et qui doit rester l’ADN de la gauche, et la rupture avec l’approche parfois naïve et laxiste qui a été celle d’une partie de la gauche ayant une vision trop angélique du multiculturalisme. Il faut souhaiter que ce nouvel équilibre permettra de lutter contre toutes les dérives identitaires, qu’elles viennent de l’extrême droite ou du communautarisme et de l’islamisme radical. Tout échec entraînerait au contraire une surenchère de part et d’autre, mettant en péril la société danoise et les valeurs qu’elle cherche à défendre, c’est-à-dire celles d’une démocratie particulièrement avancée et solidaire.

Il faut noter que, pour le moment, la situation reste tout à fait stable. L’extrême droite demeure à un niveau très bas et il semble qu’elle ne soit pas en mesure de remonter la pente, du moins dans l’immédiat. De leur côté, les sociaux-démocrates ont progressé de quelques points aux dépens des autres partis de gauche, ce qui témoigne d’une certaine popularité dans l’exercice du pouvoir. Tous les signaux sont donc au vert.

Un tournant de l'histoire à Gauche

Birkerød, le 5 mai 2019

On a peut-être un peu trop tôt enterré la Gauche en Europe. C’est vrai que les partis sociaux-démocrates et la Gauche en général a perdu des voix et est affaiblie dans beaucoup de pays. Les populations ont exprimé dans les différentes élections leurs doutes sur le rôle des partis politiques traditionnels et sur l’intérêt de la coopération internationale. La tendance a été de revenir aux nations comme réaction à une globalisation qui s’éloignait des peuples et ne répondait plus à leurs besoins. L’histoire n’est pas fausse, mais elle est en train d’être réécrite. De nombreux signes actuellement montrent que la tendance est renversée. Les partis traditionnels basés sur la solidarité collective, même s’ils ont perdu des voix récupèrent le pouvoir ou s'y maintiennent comme en Suède et en Finlande récemment. Et la victoire des socialistes en Espagne la semaine dernière confirme cette tendance. En Grande Bretagne, le Labour a repris des couleurs. S’il y a avait des élections en Grande Bretagne Theresa May perdrait le pouvoir empêtrée telle qu’elle est dans le processus interminable du Brexit. Au Danemark aussi, les derniers sondages prédisent que le pouvoir conservateur actuel va devoir laisser la place au plus tard au mois de juin prochain à la Social-démocratie de Mette Frederiksen. C’est comme si les populations en avaient assez du chaos dans lesquelles elles se retrouvent quand elles se lancent dans des expériences aléatoires en se laissant manipuler par des populistes de tous bords. Les populistes divisent les populations, leurs politiques sont imprévisibles et les problèmes sont les mêmes. Les riches qui jouissent de réductions fiscales s’enrichissent encore plus et les fossés se creusent avec la majorité de la population dont les revenus ne progressent pas. Trump en est un exemple caractéristique. Le Brexit en est un autre. Grace au Brexit qui est un cauchemar sans fin pour les britanniques, les eurosceptiques perdent du terrain dans le reste de l’Europe. Pour survivre, ils mettent un diapason à leur politique et ne parlent plus de sortir de l’Europe ou de la Zone Euro. Ils veulent « réformer » l’Europe de l’intérieur. L’Europe n’a jamais était aussi populaire au Danemark. D’après les sondages plus de 85% des danois approuvent l’idée de la coopération européenne, même s’ils n’ont toujours pas l’Euro.

La France est un peu à la traine et n’est pas sur le point de suivre cette tendance de « réveil » de la Gauche avant quelques années à cause de ses divisions. Pourtant la situation est comparable aux pays du Nord de l’Europe. On a essayé d’enterrer les partis traditionnels de Gauche comme de Droite après l’aventure Macron depuis 2017. Ils en étaient eux-mêmes responsables, il faut bien l’avouer. Mais les Français commencent à se rendre compte que là aussi, le discours ni Droite, ni Gauche de Macron n’aboutit qu’à une impasse où le président qui voulait gouverner tout seul a perdu les rênes du pouvoir face à une contestation imprévue venant des gilets jaunes. Tout est bloqué et le parti d’Emmanuel Macron dont la plupart des membres sont inconnus ou inexpérimentés ne peut rien faire pour prendre le relais. Le Grand Débat National aurait pu donner la possibilité à certains membres de LaREM de se distinguer et de se faire connaitre mais Macron a voulu s’en mêler un peu partout en recommençant sa campagne électorale et ce sont seulement les endroits où il était présent qui ont été couverts par les chaines de télévision. Le résultat, c’est que la campagne pour les élections européennes n’avance pas. Macron risque d’arriver après Le Rassemblement National de Marine LePen. Ce serait une défaite cuisante pour les candidats macronistes qui aura comme résultat de décourager encore plus ceux qui se sont laissé « entrainer » dans cette aventure. Ce sont souvent des acteurs de la société civile qui croyaient en un progrès réel pour la France et sont maintenant déçus. L’échéance suivante, celle des élections municipales en France et consulaires à l’étranger de 2020 risque d’être sérieusement compromise pour la majorité actuelle. Il ne faut pas oublier que les élus actuels dans les mairies françaises et les circonscriptions consulaires à l’étranger l’ont été en 2014 bien avant l’apparition de Macron Jupiter et que ce sont les élus des partis traditionnels qui vont réagir à cette situation. Apparemment déjà c’est comme si plus personne maintenant ne croyait en Macron. Son auréole divine a disparu avec Benala et le mouvement des Gilets Jaunes. La répression violente de la police aux manifestations où une minorité de casseurs ont participé a touché de nombreux citoyens ordinaires et des journalistes faisant leur travail. Les quelques ministres du parti de Macron qu’on connait se sont montré relativement incompétents ou ont démissionné. La dernière réaction de Christophe Castaner aux évènements de Pitié Salpetriere en marge de la manifestation des Gilets Jaunes du premier mai montre à quel point le pouvoir est aux abois et ne sait pas vraiment quoi faire.

Dans cette situation que faut-il faire pour affermir cette tendance de retour des partis de gauche solidaires et responsables au pouvoir dans les pays européens ? La situation est fragile et le risque de voir l’extrême droite populiste prendre le dessus est réelle. Je pense que le plus important c’est de réunir la Gauche. En plus la Gauche doit retenir la leçon claire de ses derniers échecs. Pour revenir au pouvoir les sociaux-démocrates et la Gauche en général doit faire une politique de Gauche solidaire sans faire du soi-disant libéralisme de gauche. La justice sociale et l’impératif écologique doivent être la priorité des priorités. Même si apparemment les européennes à défaut de réunir vont servir aux différents partis de se mesurer les uns aux autres, la tendance est réelle de créer un mouvement de rassemblement des forces solidaires et social démocrates. C’est à la base que le mouvement est commencé. Déjà des listes communes sont en train de se créer pour gagner les élections de 2020. A droite et au centre, on observe le même phénomène. La plupart des chefs de partis sont encore loin de vouloir discuter ensemble, mais les équipes municipales ou consulaires préparent des stratégies unitaires autant à Droite (en excluant l’Extrême Droite) qu’à Gauche. La stratégie de se critiquer les uns les autres est mortifère et les militants le savent bien. Les leaders de partis le savent aussi, mais ils ont besoin de se faire « pousser » dans la bonne direction.

Luc de Visme, secrétaire de la section PS du Danemark, conseiller à l’AFE