Il y a soixante-dix ans...

1944-2014

C’est un devoir de mémoire que je viens remplir aujourd’hui.

En tant qu’ancien participant à certaines activités de la paroisse Saint-Pierre dans les années 1942-1943, je veux rappeler la mémoire de deux prêtres de cette paroisse que j’ai connus : le Chanoine Pierre RUEL et l’abbé Michel POIRIER, premier vicaire, victimes des bombardements de 1944.

Il y a 70 ans la ville de Caen était sous les bombes et les obus et n’était pas encore libérée. Dès le 6 Juin, vers 13 heures, le quartier Saint-Pierre, comme beaucoup d’autres quartiers, subissait le premier grand bombardement. Il fut suivi de beaucoup d’autres. Dans la nuit du 8 Juin, un obus tiré par un cuirassé anglais avait abattu la flèche de l’Église Saint Pierre. En tombant, elle avait crevé la voûte et détruit le grand’ orgue qui se trouvait alors au fond de l’Église, cachant totalement la rosace aujourd’hui dégagée. La voûte au dessus du maitre-autel était déjà partiellement percée.  

Avant les destructions de 1944, le quartier Saint-Pierre avait une population beaucoup plus importante qu’aujourd’hui, puisque les pelouses qui entourent actuellement le château étaient alors totalement construites, rue de Geôle, entre Saint-Pierre et le château et rue du Vaugueux, ce qui justifiait l’existence d’une paroisse.

Le clergé de SaintPierre a, durant toute la bataille de Caen, voulu rester au milieu des paroissiens, malgré les destructions déjà considérables du quartier,  couchant, le plus souvent, dans une cave de la rue du Vaugueux pompeusement baptisée ABRI.

Le chanoine RUEL, curé de la paroisse allait, de cave en cave, réconforter matériellement ou moralement tous les  habitants du quartier encore présents.

L’abbé POIRIER essaya, les premiers jours, d’éteindre des incendies sans cesse rallumés. C’est lui qui, avec l’abbé RUEL, étouffa, dès son début, l’incendie que les allemands avaient allumé dans l’Église Saint-Pierre par plaquettes incendiaires. Par la suite, il visita les blessés au Bon Sauveur ou au Lycée, s’employant à leur donner des nouvelles de leurs familles et de leurs proches. Il allait à bicyclette célébrer des messes autour de Caen. J’ai le souvenir personnel d’une messe qu’il célébra vers le 11 ou 12 juin dans une chapelle du Bas Fleury, à Étavaux où nous avions fait étape. Les vitaux tremblaient sous les secousses de l’artillerie et de la DCA. À la fin de la messe, il nous donna l’absolution générale.

Pour préparer l’attaque finale qui allait libérer, dans un premier stade, la rive gauche de Caen le 9 Juillet, Anglais et Américains lancèrent dans la nuit du 7 au 8 Juillet l’un des plus violents bombardements que Caen ait subi, par 500 bombardiers. Les quartiers Nord et Nord-Ouest furent particulièrement touchés. Une bombe tomba sur la cave rue du Vaugueux où le Chanoine RUEL s’était abrité avec l’Abbé POIRIER (l’abbé de Panthou, 2ème vicaire, n’était pas là à ce moment). L’abbé POIRIER fut enseveli et tué sur le coup ainsi que 2 religieuses qui se dévouaient à la Paroisse. Son corps, enfoui sous les décombres, ne put être dégagé que quelques jours plus tard. Le chanoine RUEL fut retiré sans connaissance. Conduit au Bon Sauveur, il revint à lui et même trouva même le moyen de plaisanter. Le docteur était à peine sorti de la pièce où il était couché, que l’infirmière le rappela : le cœur avait lâché.

J’ai beaucoup mieux connu l’abbé POIRIER, car en tant que moniteur, j’avais fait avec lui la colonie de vacances paroissiale dont il était le responsable à Clinchamps-sur-Orne en 1942 et 1943. Ces deux mois de vie commune m’avaient permis d’apprécier ses grandes qualités. Il avait fait le séminaire de Rome et on disait alors qu’il deviendrait un jour évêque ! Il exerçait sur ceux qui l’approchaient, un ascendant incroyable par sa foi profonde et sa simplicité. Il tenait un carnet personnel qui a été retrouvé. Je vous en citerai quelques passages :

19 Septembre 1941 : « l’essentiel c’est donc cela : croire dans l’amour du Christ »

Mars 1944 : « notre charité doit aller jusqu’au risque de mort »

20 mai 1944 : « être bien convaincu que c’est gâcher ma vie que d’être prêtre, si je ne suis pas un saint »

29 mai 1944 : « la certitude de la mort : quelque chose qui m’attend tôt ou tard, peut être très très tôt ».

Voilà donc quels étaient ces deux prêtres de Saint-Pierre ; morts au service de leurs paroissiens qu’ils n’avaient pas voulu abandonner.

Sans doute un vitrail dans la première chapelle de l’abside, du côté droit, rappelle-t-il de façon symbolique les malheurs de la guerre et le décès de ces deux prêtres, mais depuis la pose de ce vitrail, rien !

Je pensais depuis longtemps qu’il serait normal au Centre Saint Pierre de rappeler enfin la mémoire de ces deux prêtres, notamment à l’occasion du 70ème anniversaire. Le Père Lemasson, auquel je m’en suis ouvert dimanche dernier, m’a immédiatement donné son accord  Qu’il en soit remercié !

Il m’a permis de remplir mon devoir de mémoire.

Louis DUPONT

6 Juillet 2014