2021-02 : Soixantième anniversaire - L'irremplaçable R4

Si la Renault 4, qui fête cette année ses 60 ans, a connu une longévité exceptionnelle, elle le doit à ses qualités pratiques et à son architecture flexible irremplaçables…
À tel point que tous les projets prévus pour lui succéder sont morts prématurément.

Dans la lignée des succès de véhi­cules Renault de bas de gamme, la Renault 4 tient une place à part en ayant réussi la performance d’at­teindre 8 135 424 véhicules vendus en trente et un ans (1961-1992) avec une seule et même caisse…

Le renouvellement d’un véhicule à succès est tou­jours un problème pour un constructeur, et, dans le cas de la R4, dès le milieu des années 1970, Renault a entrepris des réflexions et des travaux préparatoires pour préparer cette succession : ce fut le but du projet VBG (véhicule de bas de gamme) qui fut confié à l’équipe de Dan Vicas, alors responsable de la prospective produit.

De nombreuses propositions débridées

Le but était de trouver des propositions pour sa­tisfaire une clientèle qui choisissait de ne pas « monter en gamme », tout en ne renonçant pas à des prestations fonctionnelles, et une grande mo­dularité. De nombreuses propositions qui comptent parmi les plus débridées jamais esquis­sées à Boulogne-Billancourt ont alors été déve­loppées au centre de style. Elles avaient en com­mun un grand espace intérieur et des vitrages abondants, mais dans des dimensions exté­rieures très contraintes. Une nouvelle prestation couronnait le tout : la possibilité de mettre le siège passager en position dos à la route. Les résultats d’un test de design réalisé fin 1977 signèrent l’abandon de ce projet, car la volonté d’authenti­cité du VBG qui n’entendait rien céder à l’esthé­tisme n’avait pas enchanté nos clients. De plus, le siège dos à la route s’est avéré peu pratique pour placer ses pieds en concurrence avec ceux du passager arrière, et l’usage en ville avec décéléra­tions, virages non anticipés par la vue, rendait vo­lontiers malade. À la fameuse réunion du 11 no­vembre 1977, on changea de priorités, et le remplacement de la Renault 4 fut remis à une date ultérieure. Cependant, dans le cadre de ce projet VBG, on avait demandé à Terence Conran, le de­signer et patron d’Habitat, de nous proposer une version détournée de la Renault 4 sous forme d’une sorte de micro-camping-car bourré d’as­tuces pratiques, le tout avec un code design (cou­leurs, formes…) commun. De ces travaux avec le designer britannique est finalement ressortie une idée de série limitée moins ambitieuse, mais plus réaliste : la Renault 4 Jogging, reprenant un code graphique et couleur très identifiable, avec seule­ment quelques accessoires (tenue de jogging avec sac coordonné…).

Le programme VBG devait trouver une descendance à la R4. Mais aucun des innombrables projets n’a abouti à un modèle de série.

5 000 collections de sièges

L’intérieur avait repris la base des sièges de la Re­nault 4L, avec tubes apparents, mais avec des assises et dossiers intégrant des matelassures à forme pour améliorer le maintien latéral, et une bande arc-en-ciel au centre.

Ayant dans l’intervalle quitté la direction du produit pour prendre la responsabilité de l’« unité sièges », je me suis donc retrouvé en charge de produire les 5 000 collections de sièges avec ce design original et coloré. Leur réalisation s’est heurtée à un problème technique majeur : les bandes arc-en-ciel en PVC demandaient un pro­cessus de fabrication très particulier pour résister à l’usage, et surtout à l’agression de la transpira­tion. Heureusement, on finit par trouver un fournis­seur allemand capable d’assurer cette fabrication dans de bonnes conditions. Mais, assez vite, les ouvriers qui en avaient la charge se mirent en grève, car le travail sur ce matériau très coloré leur était insupportable. Nous avons donc envoyé sur-le-champ un acheteur très actif (Jean Schoef) qui réussit très rapidement à faire reprendre le travail moyennant notre engagement d’offrir à tous ces ouvriers (et leurs épouses) un week-end à Paris, tous frais payés, avec toutes les étapes classiques du « Paris by night ». C’est ainsi que je me suis retrouvé à accompagner ce groupe de touristes bien particulier un samedi soir au Lido

Lancée en mai 1981 pour célébrer les 20 ans du modèle, la R4 Jogging eut un succès mitigé, car les vendeurs avaient pris l’habitude de vendre des R4 TL aux clients de R4 L en insistant sur le fait qu’on y avait des « vrais sièges » et pas des ersatz seulement dignes de la 2CV… Et pourtant ceux de la R4 Jogging étaient plus confortables…

De nombreux prototypes VBG furent construits. La praticité et la luminosité primaient clairement sur l’esthétique.

Ce prototype VBG photographié le 1er janvier 1980 semble chercher à faire la synthèse entre R4 et R5.

La série limitée Jogging fut l’aboutissement minimaliste d’un projet de
micro-camping car VBG.

La Jogging était livrée avec un sac de sport assorti à ses couleurs.

Les sièges avec tubes apparents étaient raccords avec la philosophie de la Jogging.


« La volonté d’authenticité du VBG, qui n’entendait rien céder à l’esthétisme, n’avait pas enchanté nos clients »
Yves Dubreil

Le tableau de bord blanc mettait en valeur le festival de couleurs de la sellerie.

Une valse de séries limitées

Pendant ce temps, la vie de la Renault 4 conti­nuait, avec pour le millésime 1983 un nouveau ta­bleau de bord dessiné chez Heuliez en ne modi­fiant que le strict nécessaire pour obtenir un aspect plus moderne. Cela ne fut possible que grâce à la compétence de René Lavaud, qui joi­gnait compétences techniques et design, et moyennant quelques virées mémorables chez Heuliez à Cerisay avec des responsables du produit.

La valse des séries limitées a rythmé les dernières années de la vie commerciale de celle qui n’a ja­mais pu être remplacée : R4 Sixties (2 200 ex.) en mars 1985, puis compactage de la gamme, la TL devenant « Savane » et la GTL « Clan » en sep­tembre 1986, avec des sièges incluant du tissu haut de gamme pure laine !

Quelques mois plus tard, lors d’une formation au Centre de Nemours, je me souviens d’avoir été avec quelques participants boire un dernier verre en ville, et quelle ne fut pas ma surprise de consta­ter que la serveuse qui s’occupait de nous portait une robe faite dans du tissu de la R4 Savane. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire une remarque sur la qualité exceptionnelle de ce tissu, ce qui l’avait plongée dans une grande confusion.

Finalement, en 1992, une série limitée de fin de vie « Bye Bye » sur la base de la Clan fut proposée à mille derniers acheteurs avec une plaque numéro­tée sur la planche de bord.

YVES DUBREIL POUR RENAULT HISTOIRE