Léon
Trotsky : Une Opposition petite-bourgeoise dans le
Socialist Workers Party
(15
décembre 1939)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres
22, septembre
1939 à décembre 1939.
Institut Léon Trotsky, Paris 1985, pp. 196-220,
voir des
annotations
là-bas]
Il
faut appeler les choses par leur nom. Maintenant que les positions
des deux fractions en lutte ont été clairement définies, on doit
dire que la minorité du comité national dirige une tendance
typiquement petite-bourgeoise. Comme tout groupement petit-bourgeois
à l’intérieur du mouvement socialiste, l’opposition actuelle se
caractérise par les traits suivants : attitude dédaigneuse à
l’égard de la théorie et tendance à l’éclectisme, irrespect
pour la tradition de sa propre organisation, souci de l’ «
indépendance » personnelle aux dépens de l’aspiration à la
vérité objective, nervosité au lieu de fermeté, promptitude à
passer d’une position à une autre, incompréhension du centralisme
révolutionnaire et hostilité à son égard, enfin tendance à
substituer les liens de clique et les rapports personnels à la
discipline du parti. Bien entendu, tous les membres de l’opposition
ne manifestent pas ces traits de la même façon. Mais, comme
toujours dans un groupe hétérogène, le ton est donné par ceux qui
sont le plus loin du marxisme et de la politique prolétarienne. Une
lutte longue et difficile nous attend de toute évidence. Je ne me
propose certes pas d’épuiser la question dans cet article, mais
j’essaierai d’en dégager les grands traits.
Scepticisme
théorique et éclectisme
Dans
le numéro de janvier 1939 de New
International
a été publié un long article des camarades Burnham et Shachtman, «
Les Intellectuels en retraite ». Cet article, à côté de
nombreuses idées justes et de caractérisations politiques exactes,
souffrait d’un défaut — pour ne pas dire un vice —
fondamental. S’adressant à des adversaires qui se considèrent
(sans raisons suffisantes) avant tout comme des théoriciens, cet
article n’élevait délibérément pas cette question à un niveau
théorique. Il était indispensable d’expliquer pourquoi
l’intelligentsia « radicale » des États-Unis accepte le marxisme
sans la dialectique (la montre sans ressort). Le secret est simple.
Nulle part la lutte de classe n’a été aussi décriée qu’au
pays des « possibilités illimitées ». Le refus d’admettre que
les contradictions sociales sont l’élément moteur du
développement a conduit, dans le domaine de la pensée théorique, à
rejeter la dialectique en tant que logique des contradictions. De
même qu’on a jugé possible de convaincre tout le monde, en
politique, de la justesse d’un programme donné, au moyen de
quelques bons syllogismes, et de transformer peu à peu la société
par des mesures « rationnelles », de même, dans le domaine
théorique, on a considéré comme prouvé que la logique d’Aristote,
abaissée au niveau du « sens commun », suffisait à résoudre tous
les problèmes.
Le
pragmatisme, ce mélange de rationalisme et d’empirisme, est devenu
la philosophie nationale des États-Unis. La méthode théorique de
Max Eastman n’est pas fondamentalement différente de celle d’Henry
Ford : tous deux observent la société vivante du point de vue de
l’ingénieur (Eastman platoniquement). Historiquement, leur mépris
actuel pour la dialectique s’explique tout simplement par le fait
que les grands-pères et les arrière-grands-pères de Max Eastman et
autres n’avaient pas besoin de la dialectique pour conquérir des
terres et s’enrichir. Mais les temps ont changé et la philosophie
du pragmatisme, comme le capital américain, est entrée dans une
période de faillite.
Les
auteurs de l’article n’ont pas montré, n’ont ni voulu ni pu
montrer, ce lien interne entre la philosophie et le développement
matériel de la société et s’en sont expliqués franchement : «
Les deux auteurs de l’article, écrivent-ils d’eux-mêmes,
diffèrent profondément dans leur appréciation de la théorie
générale du matérialisme dialectique, l’un d’eux l’acceptant
et l’autre la rejetant. Il n’y a rien d’anormal dans une telle
situation. Bien que la théorie soit, sans aucun doute, toujours liée
d’une façon ou d’une autre à la pratique, le rapport n’est
pas toujours direct et immédiat, et, comme nous avons déjà eu
l’occasion de le constater, les êtres humains agissent souvent de
façon inconséquente. Du point de vue de chacun des deux auteurs, il
y a chez l’autre une certaine inconséquence de ce type entre sa «
théorie philosophique » et sa pratique politique qui pourrait
éventuellement conduire à des divergences politiques concrètes.
Mais ce n’est pas encore le cas et personne n’a pu encore
démontrer qu’être en accord ou en désaccord sur les doctrines
plus abstraites du matérialisme dialectique affecte nécessairement
les problèmes politiques concrets d’aujourd’hui et demain, et
c’est sur de tels problèmes concrets que sont fondés les partis
politiques, leur programme et leur lutte. Nous pouvons tous espérer
qu’en poursuivant notre route, et si nous en avons le loisir, un
accord pourra aussi se faire sur les questions plus abstraites. En
attendant, il y a le « fascisme et la guerre et le chômage ».
Que
signifie ce raisonnement tout à fait stupéfiant ? Dans la mesure où
certains,
avec une méthode mauvaise, aboutissent parfois
à des conclusions justes, dans la mesure où certains,
avec une méthode juste, aboutissent souvent
à des conclusions erronées, c’est que la méthode n’a pas
grande importance. Un jour, si nous en avons le loisir, nous
penserons à la méthode, mais pour l’instant, nous avons autre
chose à faire. Imaginez comment réagirait un ouvrier qui se
plaindrait à son contremaître d’avoir de mauvais outils et
s’entendrait répondre que l’on peut faire du bon travail avec de
mauvais outils et que beaucoup de gens ne font que du gâchis avec de
bons outils. J’ai peur que cet ouvrier, surtout s’il travaille
aux pièces, ne fasse à son contremaître une réponse fort peu
académique. Un ouvrier a affaire à des matériaux qui lui opposent
une résistance et l’obligent ainsi à apprécier de bons outils,
tandis qu’un intellectuel petit-bourgeois utilise — hélas —,
comme outils, des observations fugitives et des généralisations
superficielles, jusqu’à ce que de grands événements lui donnent
un bon coup sur la tête.
Exiger
que chaque membre du parti se livre à l’étude de la philosophie
de la dialectique serait, bien entendu, un pédantisme abstrait. Mais
un ouvrier qui est passé par l’école de la lutte des classes est
préparé par sa propre expérience à la pensée dialectique. Même
s’il ignore le mot, il accepte volontiers la méthode et ses
conclusions. Les choses vont moins bien avec un petit-bourgeois. Il
existe bien entendu des éléments petits-bourgeois organiquement
liés aux ouvriers qui passent aux positions prolétariennes sans
révolution intérieure. Mais ils ne sont qu’une faible minorité.
Il en va tout autrement avec les petits-bourgeois de formation
universitaire. Dès les bancs de l’école, ils ont reçu leurs
préjugés théoriques sous une forme achevée. Dans la mesure où
ils sont arrivés à accumuler beaucoup de connaissances, utiles ou
inutiles, sans le secours de la dialectique, ils s’imaginent
pouvoir fort bien s’en passer toute leur vie. En réalité, ils ne
se passent de la dialectique que dans la mesure où ils ne vérifient
pas, ne fourbissent pas, n’aiguisent pas théoriquement leurs
instruments de pensée et ne sortent pratiquement pas du cercle
étroit de leurs relations quotidiennes. Confrontés à de grands
événements, ils sont facilement perdus et retombent dans les façons
de penser de la petite-bourgeoisie.
Faire
fond sur « l’inconséquence », pour justifier un bloc théorique
sans principes, signifie se donner de bien mauvaises lettres de
créances comme marxiste. L’inconséquence n’est pas le fait du
hasard et n’apparaît pas seulement en politique sous la forme d’un
trait individuel. L’inconséquence remplit habituellement une
fonction sociale. Il existe des groupes sociaux qui ne peuvent pas
être conséquents. Les éléments petits-bourgeois qui ne sont pas
complètement débarrassés de leurs vénérables tendances
petites-bourgeoises sont systématiquement contraints dans le parti
ouvrier de faire des compromis théoriques avec leur conscience.
L’attitude
du camarade Shachtman à l’égard de la méthode dialectique, telle
qu’elle s’exprime dans l’argumentation citée plus haut, ne
peut être qualifiée que de scepticisme éclectique. Il est clair
que ce n’est pas à l’école de Marx que Shachtman a contracté
cette attitude, mais chez les intellectuels petits-bourgeois à qui
toutes les formes du scepticisme conviennent.
Mise
en garde et confirmation
Cet
article m’a tellement étonné que j’ai aussitôt écrit au
camarade Shachtman : « Je viens de juste lire l’article que
Burnham et vous avez écrit sur les intellectuels. Bien des parties
en sont excellentes. Cependant le passage sur la dialectique est le
pire coup que vous personnellement, en votre qualité d’éditeur de
New
International,
pouviez porter à la théorie marxiste. Le camarade Burnham dit : “
Je ne reconnais pas la dialectique. ” C’est clair et chacun doit
le reconnaître. Mais vous dites : “ Je reconnais la dialectique
mais peu importe, cela n’a pas la moindre importance. ” Relisez
ce que vous avez écrit. Ce passage est susceptible d’égarer
terriblement les lecteurs de New
International
et constitue le plus beau des présents aux Eastman de tout ordre.
Bien ! Nous en parlerons en public. »
J’ai
écrit cette lettre le 20 janvier, plusieurs mois avant la discussion
actuelle.
Shachtman ne m’a répondu que le 5 mars, disant qu’il ne pouvait
comprendre pourquoi je faisais tout ce tapage là-dessus. Le 9 mars,
je lui ai répondu : « Je n’ai pas le moins du monde rejeté la
possibilité de collaborer avec des adversaires de la dialectique,
mais seulement qu’il soit avisé d’écrire un article ensemble
dans lequel la question de la dialectique joue, ou devrait jouer, un
rôle très important. La polémique (avec les intellectuels
petits-bourgeois) se développe sur deux plans, politique et
théorique. Votre critique politique est juste. Votre critique
théorique est insuffisante : elle s’arrête à l’endroit où
elle devrait juste commencer à être agressive. Plus précisément,
la tâche consiste à montrer que leurs erreurs (dans la mesure où
ce sont des erreurs théoriques)
sont des produits de leur incapacité ou de leur refus de penser
dialectiquement les choses. Cette tâche pourrait être menée à
bien et avoir un sérieux succès pédagogique. Au lieu de cela, vous
déclarez que la dialectique est une affaire privée et qu’on peut
être un bon gars sans avoir une pensée dialectique. » En
s’associant sur cette
question
avec l’anti-dialecticien Burnham, Shachtman s’est privé de la
possibilité de montrer pourquoi Eastman, Hook et bien d’autres ont
commencé par mener une lutte philosophique contre la dialectique,
mais ont fini par une lutte politique contre la révolution
socialiste. C’est pourtant le nœud de la question.
La
discussion politique en cours dans le parti a confirmé mes
appréhensions et ma mise en garde de façon infiniment plus
éclatante que je ne pouvais l’espérer ou plutôt le redouter. Le
scepticisme méthodologique de Shachtman a porté ses déplorables
fruits dans la question de la nature de l’État soviétique.
Burnham a commencé il y a quelque temps à construire de façon
purement empirique, sur la base de ses impressions immédiates, un
État non prolétarien et non bourgeois, liquidant ainsi au passage
la théorie de Marx sur l’État comme organe de la domination d’une
classe. Shachtman a pris soudain sur cette question une position
évasive : « Cette question, voyez-vous, mérite réflexion », et
puis la définition sociologique de l’U.R.S.S. n’a pas une
importance directe et immédiate pour nos « tâches politiques »,
sur lesquelles Shachtman est entièrement d’accord avec Burnham.
Que le lecteur se reporte à ce que ces deux camarades ont écrit de
la dialectique. Burnham rejette la dialectique, Shachtman l’admettait
bien, mais… le don providentiel de I’ « inconséquence » leur
permet à tous les deux de se rejoindre dans des conclusions
politiques communes. Leur
position commune sur la nature de l’État soviétique reproduit
trait pour trait leur attitude à l’égard de la dialectique.
Dans
les deux cas, c’est Burnham qui dirige. Ce n’est pas pour nous
surprendre : lui, il a une méthode — le pragmatisme. Shachtman
n’en a point. Il s’adapte à Burnham. Sans endosser la
responsabilité des conceptions anti-marxistes de Burnham dans leur
ensemble, il défend son bloc avec Burnham d’attaque des
conceptions marxistes dans le domaine de la philosophie comme de la
sociologie. Dans les deux cas, Burnham apparaît comme un pragmatiste
et Shachtman comme un éclectique. Cet exemple présente
l’inappréciable avantage que le parallélisme parfait entre les
positions de Burnham et Shachtman à deux niveaux différents de la
pensée et sur deux questions de première importance va sauter aux
yeux même des camarades qui n’ont aucune expérience de la pensée
purement théorique. La méthode de pensée peut être dialectique ou
vulgaire, consciente ou inconsciente, mais elle existe et se laisse
reconnaître.
Nous
avons entendu en janvier dernier nos deux auteurs : « Personne n’a
encore pu démontrer qu’être en accord ou en désaccord sur les
doctrines les plus abstraites du matérialisme dialectique affecte
nécessairement les problèmes politiques concrets d’aujourd’hui.
» Personne n’a encore pu le démontrer! Quelques mois à peine ont
passé et Burnham et Shachtman ont eux-mêmes démontré que leur
attitude vis-à-vis d’une « abstraction » comme le matérialisme
dialectique trouvait sa manifestation précise dans leur attitude
vis-à-vis de l’État soviétique.
Il
est vrai qu’il faut dire qu’il y a une différence importante
entre ces deux exemples, mais qu’elle est politique et pas
théorique. Dans les deux cas, Burnham et Shachtman ont fait bloc sur
la base du refus et du demi-refus de la dialectique. Mais, dans le
premier, le bloc était dirigé contre les adversaires du parti
prolétarien. Dans le second, le bloc a été conclu contre l’aile
marxiste de leur propre parti. Le front des opérations avait, pour
ainsi dire, changé, mais l’arme restait la même. Les gens sont
certes souvent inconséquents. Cependant, la conscience humaine tend
vers une certaine homogénéité. La philosophie et la logique sont
obligées de s’appuyer sur cette homogénéité de la conscience
humaine et non sur ce dont manque cette homogénéité, c’est-à-dire
sur son inconséquence. Burnham peut bien ne pas reconnaître la
dialectique ; la dialectique, elle, reconnaît Burnham, c’est-à-dire
qu’elle étend sur lui son pouvoir. Shachtman peut bien considérer
que la dialectique est sans importance pour les conclusions
politiques, mais, dans les conclusions politiques de Shachtman
lui-même, nous trouvons les fruits amers de son dédain de la
dialectique. On devrait citer cet exemple dans tous les manuels de
dialectique matérialiste.
J’ai
reçu l’an dernier la visite d’un jeune professeur d’économie
politique anglais, sympathisant de la IVe
Internationale. Pendant que nous discutions des voies et des moyens
de réalisation du socialisme, il exprima soudain les tendances à
l’utilitarisme britannique dans l’esprit de Keynes et autres : «
Il faut se fixer un objectif économique clair, choisir les moyens
les plus rationnels pour le réaliser, etc. » Je remarquai : « Je
vois que vous êtes un adversaire de la dialectique ? » Un peu
étonné, il répondit : « Oui, je n’y vois aucune utilité. »
Cependant, répliquai-je, la dialectique m’a permis, sur la base de
quelques-unes de vos remarques sur les questions économiques, de
déterminer à quelle catégorie de pensée philosophique vous vous
rattachez : et rien que cela démontre l’appréciable valeur de la
dialectique. Bien que je n’aie plus eu de nouvelles de mon visiteur
depuis, je ne doute pas que ce professeur anti-dialectique défende
aujourd’hui l’idée que PU.R.S.S. n’est pas un État ouvrier,
que la « défense inconditionnelle de l’U.R.S.S. » est une
position dépassée, que nos méthodes d’organisation sont
mauvaises, etc. S’il est possible de déterminer le type général
de pensée de quelqu’un d’après la façon dont il aborde les
questions concrètes, on peut aussi, connaissant son type général
de pensée, prévoir approximativement comment un individu donné
abordera telle ou telle question pratique. Telle est l’inestimable
valeur éducative de la méthode dialectique de pensée.
L’A
B C de la dialectique matérialiste
Les
sceptiques déliquescents du genre Souvarine affirment que «
personne ne sait » ce qu’est la dialectique. Et il existe des «
marxistes » qui font des courbettes respectueuses devant Souvarine
et espèrent apprendre quelque chose de lui. Et ces marxistes ne se
dissimulent pas seulement dans le Modem
Monthly.
Il existe malheureusement aussi un courant souvarinien dans
l’actuelle opposition du S.W.P. Et il faut mettre en garde les
jeunes camarades : attention à cette infection maligne !
La
dialectique n’est ni une fiction, ni une mystique, mais la science
des formes de notre pensée quand cette dernière ne se limite pas
aux soucis de la vie quotidienne, mais tente d’appréhender des
processus plus durables et plus complexes. La dialectique est à la
logique formelle ce que, disons, les mathématiques supérieures sont
aux mathématiques élémentaires.
Je
vais tenter ici de cerner, sous la forme la plus concise possible,
l’essentiel de la question. La logique aristotélicienne du
syllogisme simple part de la proposition que A est égal à A. Ce
postulat est accepté comme un axiome pour quantité d’actions
humaines pratiques et pour des généralisations élémentaires. Mais
en réalité, A n’est pas égal à A. C’est facile à démontrer,
ne fût-ce qu’en regardant ces deux lettres à la loupe : elles
diffèrent sensiblement l’une de l’autre. Mais, va-t-on objecter,
il ne s’agit pas de la dimension ni de la forme des lettres,
puisqu’elles ne sont que des symboles de quantités égales, par
exemple une livre de sucre. L’objection ne vaut rien : en réalité,
une livre de sucre n’est jamais égale à une livre de sucre et des
balances plus précieuses décèlent toujours une différence. On
pourra objecter : une livre de sucre est égale à elle-même. C’est
faux : tous les corps changent constamment de dimension, de poids, de
couleur, etc. Us ne sont jamais égaux à eux-mêmes. Un sophiste
répondra qu’une livre de sucre est égale à elle-même « à tout
instant donné ». Sans même parler de la valeur pratique, bien
douteuse, d’un tel « axiome », il ne résiste pas non plus à la
critique théorique. Comment en effet comprendre le mot « instant »
? S’il s’agit d’une infinitésimale fraction de temps, la livre
de sucre subira inévitablement des changements pendant cet «
instant ». Ou bien l’instant n’est-il qu’une pure abstraction
mathématique, c’est-à-dire représente un zéro de temps ? Mais
tout existe dans le temps et l’existence elle-même n’est qu’un
processus ininterrompu de transformation : le temps est donc un
élément fondamental de l’existence. Ainsi l’axiome que A égale
A signifie que toute chose est égale à elle-même quand elle ne
change pas, c’est-à-dire quand elle n’existe pas.
Il
peut sembler au premier abord que ces « subtilités » ne sont
d’aucune utilité. Elles ont en réalité une importance décisive.
L’axiome que A égale A est, d’une part, le point de départ de
toutes nos connaissances et, de l’autre, la source de toutes les
erreurs dans nos connaissances. On ne peut manier impunément
l’axiome A = A que dans des limites
déterminées. Quand les changements qualitatifs de A sont
négligeables, pour la tâche qui nous intéresse, nous pouvons
admettre que A = A. C’est ainsi par exemple que le vendeur et
l’acheteur considèrent une livre de sucre. Ainsi considérons-nous
la température du soleil. Ainsi considérions-nous récemment le
pouvoir d’achat du dollar. Mais les changements quantitatifs,
au-delà d’une certaine limite, deviennent des changements
qualitatifs. Une livre de sucre arrosée d’eau ou d’essence cesse
d’être une livre de sucre. Un dollar, sous l’action d’un
président, cesse d’être un dollar. Dans tous les domaines de la
connaissance, y compris la sociologie, une des tâches les plus
importantes et les plus difficiles consiste à saisir, au moment
précis, le point critique où la quantité se change en qualité.
Tout
ouvrier sait qu’il est impossible de faire des objets
rigoureusement identiques. Pour l’usinage des cônes de roulements
à bille, on admet un certain écart, inévitable, mais qui doit
rester dans certaines limites (c’est ce qu’on appelle la
tolérance). Tant que l’on se tient dans les limites de la
tolérance, les cônes sont considérés comme égaux (A = A). Si
l’on dépasse la limite de la tolérance, la quantité se
transforme en qualité : autrement dit, le cône est de mauvaise
qualité ou inutilisable.
Notre
pensée scientifique n’est qu’une partie de notre activité
pratique générale, y compris les techniques. Pour les concepts
aussi, il existe des « tolérances », qui sont établies, non par
la logique formelle issue de l’axiome selon lequel A = A, mais de
la logique dialectique issue de l’axiome selon lequel tout change.
Le « sens commun » se caractérise par le fait qu’il franchit
systématiquement les normes de tolérance établies par la
dialectique.
La
pensée vulgaire opère avec des concepts tels que capitalisme,
morale, liberté, État ouvrier, etc. en tant qu’abstraction
immuables supposant que le capitalisme est égal au capitalisme, la
morale à la morale, etc. La pensée dialectique analyse toutes les
choses et tous les phénomènes dans leur continuel changement, tout
en déterminant dans les conditions matérielles de ces changements
la limite critique au-delà de laquelle A cesse d’être A et où un
État ouvrier cesse d’être un État ouvrier.
Le
vice fondamental de la pensée vulgaire réside dans ce qu’elle
veut se satisfaire d’empreintes figées d’une réalité qui,
elle, est en perpétuel mouvement. La pensée dialectique précise,
corrige, concrétise les concepts et leur confère une richesse de
contenu et une souplesse, j’allais dire une saveur, qui les
rapprochent dans une certaine mesure des phénomènes vivants. Non
pas le capitalisme en général, mais un capitalisme donné, à un
stade déterminé de son développement. Non pas un État ouvrier en
général, mais un État ouvrier donné, dans un pays encerclé par
l’impérialisme, etc.
La
pensée dialectique est à la pensée vulgaire ce que le cinéma est
à la photographie. Le cinéma ne bannit pas la photo, mais il en
combine une série selon les lois du mouvement. La dialectique ne nie
pas le syllogisme, mais elle nous enseigne à combiner les
syllogismes de façon à rapprocher notre connaissance de la réalité
toujours changeante. Dans sa Logique,
Hegel
établit une série de lois : le changement de la quantité en
qualité, le développement à travers les contradictions, le conflit
entre forme et contenu, l’interruption de la continuité, le
passage du possible au nécessaire, etc. qui sont aussi importantes
pour la pensée théorique que le simple syllogisme pour des tâches
plus élémentaires.
Hegel
a écrit avant Darwin et avant Marx. Grâce au puissant élan donné
à la pensée par la Révolution française, Hegel a anticipé en
philosophie sur le mouvement général de la science. Mais,
précisément parce qu’il ne s’agissait que d’une anticipation,
bien que géniale, elle a eu chez Hegel un caractère idéaliste.
Hegel opérait avec des ombres idéologiques comme réalité suprême.
Marx a démontré que le mouvement de ces ombres idéologiques ne
faisait que refléter le mouvement des corps matériels.
Nous
appelons matérialiste notre dialectique parce que ses racines ne
sont ni dans le ciel ni dans les profondeurs de notre « libre
arbitre », mais dans la réalité objective, dans la nature. La
conscience est née de l’inconscient, la psychologie de la
physiologie, le monde organique de l’inorganique, le système
solaire des nébuleuses. A tous les degrés de cette échelle du
développement, les changements quantitatifs sont devenus
qualitatifs. Notre pensée, y compris la pensée dialectique, n’est
que l’une des formes d’expression de la matière changeante. Il
n’y a place dans ce système ni pour Dieu, ni pour le Diable, ni
pour l’âme immortelle, ni pour les normes éternelles du droit et
de la morale. La dialectique de la pensée, procédant de la
dialectique de la nature, possède en conséquence un caractère
profondément matérialiste.
Le
darwinisme, qui expliquait l’évolution des espèces à travers la
transformation de changements quantitatifs en changements
qualitatifs, a signifié le triomphe de la dialectique à l’échelle
de toute la matière organique. Un autre grand triomphe a été la
découverte de la table des poids atomiques des éléments chimiques,
puis la transformation des éléments en d’autres.
A
ces transformations (espèces, éléments, etc.) est étroitement
liée la question de la classification, également importante dans
les sciences naturelles et les sciences sociales. Le système de
Linné, (xvie
siècle) qui prenait pour point de départ l’immutabilité des
espèces, se limitait à décrire et classer les plantes selon leur
aspect extérieur. La période infantile de la botanique est analogue
à celle de la logique, car les formes de notre pensée se
développent comme tout ce qui vit. Ce n’est que par le rejet
délibéré de l’idée d’immutabilité des espèces et par
l’étude de l’histoire de l’évolution des plantes et de leur
anatomie, qu’on a jeté les bases d’une classification vraiment
scientifique.
Marx
qui, à la différence de Darwin, était un dialecticien conscient, a
trouvé une base pour la classification scientifique des sociétés
humaines dans le développement de leurs forces productives et la
structure des rapports de propriété qui constituent l’anatomie de
la société. Le marxisme a substitué à la classification
descriptive vulgaire des sociétés et des États, qui fleurit
aujourd’hui dans les universités, une classification dialectique
matérialiste. Ce n’est qu’en utilisant la méthode de Marx qu’on
peut définir correctement et le concept d’État ouvrier et le
moment de sa chute.
Dans
tout cela, nous le voyons, il n’y a rien de « métaphysique » ou
de « scolastique », comme l’affirment les ignorants satisfaits.
La logique dialectique exprime les lois du mouvements de la pensée
scientifique contemporaine. La lutte contre la dialectique
matérialiste reflète au contraire un lointain passé, le
conservatisme de la petite bourgeoisie, l’arrogance des mandarins
universitaires, etc., un soupçon d’espoir en l’au-delà.
La
Nature de l'U.R.S.S.
La
définition de l’U.R.S.S. donnée par le camarade Burnham comme «
un État ni ouvrier ni bourgeois » est purement négative, détachée
de la chaîne du développement historique, suspendue en l’air, ne
contenant pas un grain de sociologie, et représente tout simplement
une capitulation théorique du pragmatisme devant un phénomène
historique contradictoire.
Si
Burnham avait été matérialiste et dialecticien, il se serait posé
les trois questions suivantes : 1) quelle est l’origine historique
de l’U.R.S.S. ? 2) quels changements cet État a-t-il subis au
cours de son existence ? 3) ces changements sont-ils passés du stade
quantitatif au stade qualitatif, c’est-à-dire ont-ils fondé une
domination historiquement nécessaire par une nouvelle classe
exploiteuse ? Les réponses à ces questions auraient contraint
Burnham à tirer l’unique conclusion possible : l’U.R.S.S. est un
État ouvrier dégénéré.
La
dialectique n’est pas la clé magique de toutes les questions. Elle
ne remplace pas l’analyse scientifique concrète. Mais elle oriente
cette analyse dans la bonne voie, lui évite d’errer vainement dans
le désert du subjectivisme et de la scolastique.
Bruno
Rizzi range le régime soviétique et le régime fasciste dans la
catégorie du « collectivisme bureaucratique » parce que
l’U.R.S.S., l’Italie et l’Allemagne sont gouvernées par des
bureaucraties. Ici et là, il y a des éléments de planification ;
dans un cas, la propriété privée est limitée, dans l’autre,
elle est limitée, etc. Ainsi, sur la base de la similitude relative
de certains
signes
extérieurs d’origine différente, d’un poids spécifique
différent, d’une signification de classe différente, on établit
l'identité
fondamentale de deux régimes sociaux, tout à fait dans l’esprit
des professeurs bourgeois qui construisent les catégories de l’État
contrôlé, d’ « État centralisé », sans prendre en
considération le moins du monde la nature de classe de l’un ou de
l’autre.
Bruno
Rizzi et ses disciples ou semi-disciples, comme Burnham, se
cantonnent, au mieux, dans le domaine de la classification sociale du
niveau de Linné, qui avait cependant, rappelons-le, l’excuse de
vivre avant Hegel, Darwin et Marx.
Pires
et plus dangereux encore sont peut-être ces éclectiques qui
expriment l’idée que le caractère de classe de l’État
soviétique « importe peu » et que la direction de notre politique
est déterminée par « le caractère de la guerre ».
Comme si la guerre était une substance indépendante, supra-sociale
; comme si le caractère de la guerre n’était pas déterminé par
le caractère de la classe dirigeante, c’est-à-dire par le même
facteur social qui détermine également le caractère de l’État.
Il est étonnant de voir avec quelle facilité certains camarades,
sous le coup des événements, oublient l’A B C du marxisme !
Il
n’est pas étonnant que les théoriciens de l’opposition, qui
rejettent la pensée dialectique, capitulent lamentablement devant la
nature contradictoire de l’U.R.S.S. Pourtant la contradiction entre
les fondements socialistes posés par la révolution et le caractère
de la caste née de la dégénérescence de la révolution, est non
seulement un fait historique indiscutable, mais encore un élément
moteur. C’est sur cette contradiction que nous nous appuyons dans
notre lutte pour abattre la bureaucratie. Pendant ce temps, quelques
ultra-gauchistes ont déjà atteint l’absurdité sublime en
affirmant que, « pour renverser l’oligarchie bonapartiste, il faut
sacrifier la structure sociale de l’U.R.S.S. ». Il ne leur vient
pas à l’esprit que l’U.R.S.S. moins la structure sociale fondée
par la révolution d’Octobre, ce serait un régime fasciste.
Évolutionnisme
et dialectique
Le
camarade Burnham va sans doute protester que, comme évolutionniste,
il ne s’intéresse pas moins que nous, dialecticiens, au
développement des formes de société et d’État. Nous ne
discuterons pas cela. Tout homme cultivé, depuis Darwin, se targue
d’être « évolutionniste ». Mais un véritable évolutionniste
doit appliquer l’idée de l’évolution à ses formes de pensée à
lui. La logique élémentaire, fondée à l’époque où l’idée
même d’évolution n’existait pas encore, est évidemment
insuffisante pour l’analyse du processus d’évolution. La logique
de Hegel est la logique de l’évolution. Mais il ne faut pas
oublier que le concept même d’« évolution » a été
complètement déformé et châtré par les professeurs d’université
et les écrivains libéraux, pour lui faire signifier le « progrès
» pacifique. Celui qui a compris que l’évolution procède au
travers de la lutte de forces antagonistes, qu’une lente
accumulation de changements fait éclater, à un moment donné, la
vieille enveloppe et mène à la catastrophe la révolution, celui
qui a appris enfin à appliquer les lois générales de l’évolution
à la pensée elle-même, celui-là est un dialecticien, à la
différence de l’évolutionniste vulgaire. La formation dialectique
est aussi nécessaire à un combattant révolutionnaire que les
gammes à un pianiste, car elle exige d’aborder tous les problèmes
en tant que processus
et non en tant que catégories immuables. Cependant les
évolutionnistes vulgaires, se bornant à reconnaître l’évolution
dans certains domaines seulement, se contentent dans toutes les
autres questions des banalités du « sens commun ».
Le
libéral américain qui a pris son parti de l’existence de
l’U.R.S.S., ou plus exactement de la bureaucratie de Moscou, croit
ou au moins croyait, jusqu’au pacte germano-soviétique, que le
régime soviétique, dans l’ensemble, est une chose « progressiste
», que les traits répugnants de la bureaucratie (« c’est bien
naturel qu’il y en ait ») seront progressivement résorbés et
qu’ainsi sera assuré un « progrès » pacifique et sans douleur.
Un
petit-bourgeois radical vulgaire ressemble au « progressiste »
libéral en ce qu’il prend l’U.R.S.S. comme un tout, sans
comprendre ses contradictions internes et leur dynamisme. Quand
Staline s’est allié à Hitler, a envahi la Pologne, puis la
Finlande, les radicaux vulgaires ont triomphé : l’identité des
méthodes du stalinisme et du fascisme était démontrée ! Ils se
sont cependant trouvés en difficulté quand les nouvelles autorités
ont invité la population à exproprier les propriétaires terriens
et les capitalistes : ils n’avaient pas du tout envisagé cette
éventualité ! Cependant les mesures sociales révolutionnaires
appliquées par des méthodes bureaucratiques et militaires, non
seulement n’ont pas pris en défaut notre définition dialectique
de l’U.R.S.S. comme un État ouvrier dégénéré, mais au
contraire lui ont donné la plus éclatante confirmation. Au lieu
d’utiliser cette victoire de l’analyse marxiste pour mener une
agitation persévérante, les opposants petits-bourgeois se sont mis
à crier, avec une légèreté vraiment criminelle, que les
événements avaient réfuté notre pronostic, que nos vieilles
formules ne sont plus applicables, qu’il fallait trouver des termes
nouveaux. Lesquels ? Ils ne l’ont pas encore décidé eux-mêmes.
La
Défense de l’U.R.S.S.
Nous
avons commencé avec la philosophie, et sommes ensuite passés à la
sociologie. Il est devenu clair que, dans ces deux domaines, les deux
dirigeants les plus en vue de l’opposition ont pris, l’un une
position anti-marxiste et l’autre une position éclectique. Si nous
considérons la politique, plus précisément la question de la
défense de l’U.R.S.S., nous verrons que d’aussi grandes
surprises nous attendent.
L’opposition
a découvert que notre formule de « défense inconditionnelle de
l’U.R.S.S. », la formule de notre programme, était « vague,
abstraite et dépassée » ( ! ?). Malheureusement, elle n’explique
pas à quelles conditions à venir elle est disposée à défendre
les conquêtes de la révolution. Pour donner, ne fût-ce qu’une
once de sens à sa nouvelle formule, l’opposition essaie de
représenter les choses comme si, jusqu’à présent, nous avions
défendu « inconditionnellement » la politique internationale du
Kremlin avec son Armée rouge et son G.P.U. C’est tout embrouiller
et mettre sens dessus dessous ! En réalité, il y a longtemps que
nous ne défendons plus la politique internationale du Kremlin, même
pas conditionnellement, particulièrement depuis que nous avons
proclamé ouvertement la nécessité d’abattre l’oligarchie du
Kremlin par la voie insurrectionnelle. Une politique fausse non
seulement dénature les tâches présentes mais oblige aussi à
représenter son propre passé sous un jour mensonger.
Dans
l’article déjà cité de New
International,
Burnham et Shachtman appellent astucieusement un groupe
d’intellectuels déçus « la Ligue des espoirs abandonnés » et
insistent pour savoir quelle serait la position de cette malheureuse
ligue en cas de conflit entre un pays capitaliste et l’Union
soviétique. « Nous saisissons cette occasion, écrivaient-ils, pour
exiger de Hook, Eastman et Lyons qu’ils se prononcent sans
équivoque
sur la question de la défense de l’Union soviétique contre une
attaque lancée par Hitler ou le Japon ou, admettons, la
Grande-Bretagne… » Burnham et Shachtman ne posaient aucune «
condition », ne spécifiaient aucune circonstance « concrète »
et, en même temps, exigeaient une réponse « sans équivoque ». «
S’abstiendra-t-elle (la Ligue des espoirs abandonnés) de prendre
position ou se déclarera-t-elle neutre? », poursuivaient-ils, « en
un mot, est-elle pour la défense de l’Union soviétique contre
l’agression impérialiste indépendamment
et en dépit du régime stalinien ? »
(c’est moi qui souligne). Précieuse citation ! C’est exactement
ce que dit notre programme. Burnham et Shachtman, en janvier 1939,
étaient pour la défense inconditionnelle de l’Union soviétique
et définissaient de façon tout à fait juste la signification de la
défense inconditionnelle, c’est-à-dire « indépendamment et en
dépit du régime stalinien ». Et pourtant cet article a été écrit
quand l’expérience de la révolution espagnole avait déjà été
faite jusqu’au bout. Le camarade Cannon a parfaitement raison quand
il dit que le rôle du stalinisme en Espagne était infiniment plus
criminel qu’en Pologne ou en Finlande. Dans le premier cas, la
bureaucratie, avec des méthodes de bourreau, a étranglé une
révolution socialiste. Dans le second, elle a impulsé, par des
méthodes militaires, la révolution socialiste. Pourquoi donc
Burnham et Shachtman se sont-ils aussi inopinément rapprochés des
positions de la « Ligue des espoirs abandonnés » ? Pourquoi ? Nous
ne pouvons considérer comme une explication les références
archi-abstraites de Shachtman au « concret des événements ».
Cependant
il n’est pas difficile de trouver une explication. La participation
du Kremlin au camp républicain en Espagne était soutenue par les
démocrates bourgeois du monde entier. Le travail de Staline en
Pologne et en Finlande rencontre la condamnation forcenée de ces
mêmes démocrates. En dépit de toutes les formules bruyantes, il se
trouve que l’opposition reflète, à l’intérieur du Socialist
Workers Party, l’humeur de la petite bourgeoisie « de gauche ».
C’est malheureusement un fait indiscutable.
«
Ces messieurs, écrivaient Burnham et Shachtman à propos de la «
Ligue des espoirs abandonnés », tirent une grande fierté de l’idée
qu’ils apportent un air « frais », qu’ils « réévaluent à la
lumière d’expériences nouvelles », qu’ils ne sont pas de ces «
dogmatiques » (« conservateurs » ?) qui refusent de remettre en
question leurs « positions fondamentales », etc. Quelle façon
pathétique de s’abuser soi-même ! Aucun d’entre eux n’a mis
en lumière un seul fait nouveau, aucun n’a donné d’interprétation
nouvelle du présent et de l’avenir. » Étonnante citation ! Ne
devrions-nous pas ajouter un nouveau chapitre à l’article «
Intellectuels en retraite » ? J’offre ma collaboration à
Shachtman…
Mais
comment est-il possible que des personnalités éminentes comme
Shachtman et Burnham, incontestablement dévoués à la cause du
prolétariat, puissent être si facilement effrayés par ces
messieurs de la « Ligue des espoirs abandonnés », qui n’ont
pourtant rien de terrible? Sur le plan théorique, l’explication,
pour Burnham, réside dans sa méthode erronée et pour Shachtman
dans son mépris de la méthode. Une méthode juste, non seulement
facilite l’obtention de conclusions justes, mais, en liant chaque
nouvelle conclusion aux précédentes par une chaîne continue, les
fixe dans la mémoire. Si les conclusions politiques sont tirées
empiriquement à vue de nez et si, de surcroît, l’inconséquence
est tenue pour une sorte d’avantage, alors le système politique
marxiste va inéluctablement laisser la place à l’impressionnisme
caractéristique de l’intelligentsia petite-bourgeoise. Chaque
nouveau tournant des événements prend au dépourvu
l’empiriste-impressionniste, le force à oublier ce qu’il
écrivait la veille et provoque en lui un brûlant désir de termes
nouveaux avant que soient nées dans sa tête des idées nouvelles.
La
Guerre soviéto-finlandaise
La
résolution de l’opposition sur la question de la guerre
soviéto-finlandaise est un document qu’auraient peut-être pu
signer, à quelques réserves près, les bordiguistes, Vereeken,
Sneevliet, Fenner Brockway, Marceau Pivert et leurs sembla blés,
mais en aucun cas des bolcheviks-léninistes. Partant exclusivement
des caractères de la bureaucratie soviétique et du simple fait de
l’ « invasion », la résolution est dénuée du moindre contenu
social. Elle place la Finlande et l’U.R.S.S. sur le même plan, «
condamne et rejette les
deux
gouvernements et leurs armées ». Ayant cependant découvert que
quelque chose ne tournait pas rond, la résolution, brusquement et
sans lien avec le reste du texte, ajoute : « Dans l’application
(!) de cette perspective, la IVe
Internationale tiendra bien entendu compte (!) (ce « bien entendu »
est une pure merveille !) des circonstances concrètes : la situation
militaire, la disposition des masses et, également, (!) de la
différence des rapports économiques en France et en Russie. »
Chacun des mots est une perle. Pour nos amateurs de « concret »,
les circonstances « concrètes » sont la situation militaire, les
sentiments des masses et, en troisième fieu, les régimes
économiques opposés. Quant à savoir comment il sera précisément
« tenu compte » de ces trois circonstances « concrètes », la
résolution ne donne pas la moindre lueur. Si l’opposition dans
cette guerre, s’oppose également « aux deux gouvernements et à
leurs armées », comment « tiendra-t-elle compte » de la
différence dans la situation militaire et les régimes sociaux? Il
est décidément impossible d’y rien comprendre !
Pour
mieux châtier les staliniens de leurs incontestables crimes, la
résolution, à la suite des démocrates petits-bourgeois de toutes
nuances, ne souffle mot de ce que l’Armée rouge exproprie en
Finlande, les grands propriétaires terriens et introduit le contrôle
ouvrier, préparant ainsi l’expropriation des capitalistes.
Demain,
les staliniens étrangleront les ouvriers finlandais. Mais,
aujourd’hui, ils donnent — et ils sont obligés de donner — une
formidable impulsion à la lutte des classes sous sa forme la plus
aiguë. Les chefs de l’opposition construisent leur politique, non
pas sur le processus « concret », tel qu’il se développe en
Finlande, mais sur des abstractions démocratiques et de nobles
sentiments.
La
guerre soviéto-finlandaise commence, selon toute apparence, à se
doubler d’une guerre civile dans laquelle l’Armée rouge, pour le
moment, se trouve dans le même camp que les
petits
paysans et les ouvriers finnois, tandis que l’armée finnoise
bénéficie du soutien des classes possédantes, de la bureaucratie
ouvrière conservatrice et des impérialistes anglo-saxons. Les
espoirs que l’Armée rouge éveille chez les pauvres Finlandais ne
seront, à moins que la révolution internationale ne se produise,
qu’une illusion : la collaboration de l’Armée rouge avec les
pauvres ne sera que temporaire ; le Kremlin retournera très vite ses
armes contre les ouvriers et les paysans finlandais. Nous savons tout
cela maintenant et nous le disons ouvertement en guise
d’avertissement. Mais, dans cette guerre civile « concrète »,
qui se déroule sur le territoire de la Finlande, quelle place «
concrète » doivent prendre les partisans de la IVe
Internationale?
Ils ont combattu en Espagne dans le camp républicain, en dépit du
fait que les staliniens étaient en train d’étrangler la
révolution socialiste, à plus forte raison doivent-ils se trouver
en Finlande du côté où les staliniens sont forcés de soutenir
l’expropriation des capitalistes.
Nos
novateurs cachent sous de grands mots les trous de leur position. Ils
qualifient d’« impérialiste » la politique de l’U.R.S.S. en
Finlande. Quel enrichissement pour la science ! A dater de ce jour,
l’impérialisme sera à la fois la politique extérieure du capital
financier et une politique d’expropriation du capital financier.
Voilà qui contribuera singulièrement à la clarification et à
l’éducation de classe des travailleurs ! Mais en même temps —
s’écriera, disons, notre bouillant camarade Stanley — le Kremlin
soutient la politique du capital financier en Allemagne! Cette
objection consiste à remplacer un problème par un autre, à
dissoudre le concret dans l’abstrait (erreur habituelle de la
pensée vulgaire).
Si,
demain, Hitler était obligé d’envoyer des armes aux Indiens
soulevés, les travailleurs révolutionnaires allemands devraient-ils
s’opposer à cette action concrète par des grèves ou le sabotage?
Au contraire, ils devraient s’efforcer de faire parvenir ces armes
aux insurgés le plus vite possible. Nous espérons que ceci
est clair pour Stanley. Mais cet exemple est purement hypothétique.
Il nous est utile pour montrer que même un gouvernement fasciste du
capital financier peut, dans certaines circonstances, être obligé
de soutenir un mouvement révolutionnaire national (pour mieux
l’étrangler demain). Hitler ne se résoudra en aucun cas à
soutenir une révolution prolétarienne, disons en France. Quant au
Kremlin, il est actuellement obligé — et ce n’est plus une
hypothèse, mais une réalité — de provoquer un mouvement social
révolutionnaire en Finlande (pour tenter demain de l’étrangler
politiquement). Recouvrir ce mouvement social révolutionnaire donné
du terme, englobant tout, d’« impérialiste », pour la seule
raison qu’il est suscité, mutilé et en même temps étranglé par
le Kremlin, ne fait qu’attester de la pauvreté théorique et
politique de ceux qui le font.
II
faut ajouter que l’extension de la notion d’impérialisme n’a
même pas l’attrait de la nouveauté. Aujourd’hui, non seulement
les « démocrates », mais la bourgeoisie des pays démocratiques
décrivent comme impérialiste la politique soviétique. Le but de la
bourgeoisie est évident; escamoter la contradiction sociale entre
l’expansion capitaliste et l’expansion soviétique, dissimuler le
problème de la propriété et, par là même, aider le véritable
impérialisme. Quel est le but de Shachtman et autres? Ils ne le
savent même pas eux-mêmes. Leur modernisme terminologique ne les
conduit objectivement qu’à s’éloigner de la terminologie
marxiste de la IVe
Internationale et à se rapprocher de celle des « démocrates ».
Cette circonstance confirme malheureusement, une fois de plus,
l’extrême sensibilité de l’opposition à la pression de
l’opinion publique petite-bourgeoise.
Les
questions d’organisation
On
entend dire de plus en plus souvent dans les rangs de l’opposition
: « La question russe en elle-même n’a pas une importance
décisive. Le plus important, c’est de changer le régime du parti.
» Changer le régime, il faut le comprendre, signifie changer la
direction ou, plus exactement, éliminer des postes de direction
Cannon et ses proches collaborateurs. Ces voix bruyantes démontrent
que la tendance à la lutte contre « la fraction de Cannon » a
précédé « le concret des événements » auquel Shachtman et les
autres font référence pour expliquer leur changement de position.
En même temps, ces voix nous rappellent toute une série de groupes
d’opposition du passé, qui ont entrepris leur lutte pour les
motifs les plus divers, mais qui, lorsque le terrain a commencé à
crouler sous leurs pas, se sont tournés vers ce qu’on appelle «
la question d’organisation ». Ainsi en a-t-il été avec Molinier,
Sneevliet, Vereeken et bien d’autres. Si désagréables que
puissent paraître ces précédents, il est impossible de les passer
sous silence.
Il
serait pourtant faux de croire que le transfert de la lutte sur la «
question d’organisation » représente une simple manœuvre dans la
lutte fractionnelle. Non, l’opposition ressent effectivement, bien
que confusément, que ce qui fait problème, ce n’est pas seulement
la « question russe », mais toute l’approche des questions
politiques en général, y compris les méthodes de construction du
parti. Et, en un certain sens, c’est vrai.
Dans
les pages qui précèdent, nous nous sommes efforcés de démontrer
que ce n’est pas seulement la « question russe » dont il s’agit,
mais plus encore de toute la méthode de pensée de l’opposition,
qui a ses racines sociales. L’opposition subit la pression des
humeurs et des tendances de la petite bourgeoisie. C’est là le
problème.
On
discerne très clairement l’influence idéologique d’une autre
classe dans les cas de Burnham (pragmatisme) et de Shachtman
(éclectisme). Nous n’avons pas pris en considération d’autres
dirigeants, comme le camarade Abern, parce qu’en règle générale,
il ne prend pas part aux discussions principielles, se confinant dans
le domaine de la « question d’organisation ». Cela ne signifie
cependant pas qu’Abern soit sans importance. Au contraire, on peut
dire que Burnham et Shachtman sont les amateurs de l’opposition,
tandis qu’Abern en est un indiscutable spécialiste. Abern, et lui
seul, a son groupe traditionnel, sorti de l’ancien parti
communiste, soudé dans la première période de l’opposition de
gauche indépendante. Tous ceux qui ont des motifs divers de critique
et de mécontentement se rattachent à ce groupe.
Toute
lutte de fraction sérieuse dans un parti est toujours en dernière
analyse une réfraction de la lutte de classes. La fraction
majoritaire a établi, dès le début, la dépendance idéologique de
l’opposition à l’égard de la démocratie bourgeoise. Au
contraire, l’opposition, précisément en raison de son caractère
petit-bourgeois, n’a même pas tenté de chercher les racines
sociales du camp opposé.
L’opposition
a déclenché une dure lutte de fraction qui paralyse maintenant le
parti à un moment très critique. Pour qu’une telle lutte de
fraction soit justifiée et non impitoyablement condamnée, il
faudrait des raisons très graves et très profondes. Pour un
marxiste, de telles raisons ne peuvent avoir qu’un caractère de
classe.
Avant d’engager leur lutte acharnée, les dirigeants de
l’opposition étaient tenus de se poser la question : de quelle
classe non prolétarienne la majorité du comité central subit-elle
l’influence ? Néanmoins, l’opposition n’a pas fait la moindre
tentative de semblable évaluation de classe des divergences. Elle ne
voit que « conservatisme », « erreurs », « mauvaises méthodes
», etc. et semblables carences philosophiques, intellectuelles,
techniques. L’opposition ne s’intéresse pas à la nature de
classe de la fraction adverse pas plus qu’elle ne s’intéresse à
la nature de classe de l’U.R.S.S. Ce seul fait suffit à démontrer
le caractère petit-bourgeois de l’opposition, teinté de
pédantisme académique et d’impressionnisme journalistique.
Pour
comprendre quelles sont précisément les classes ou couches dont la
pression se reflète dans la lutte fractionnelle, il faut refaire
l’historique de la lutte de ces deux fractions. Ceux des membres de
l’opposition qui affirment que la lutte actuelle n’a « rien de
commun » avec les vieilles luttes fractionnelles, manifestent une
fois de plus leur attitude superficielle à l’égard de la vie de
leur propre parti. Le noyau fondamental de l’opposition est le même
que celui qui, il y a trois ans, se groupait autour de Muste et de
Spector.
Le noyau central de la majorité est le même qui s’était alors
groupé autour de Cannon. Parmi les dirigeants, seul Shachtman et
Burnham ont changé de camp. Mais ces oscillations individuelles, si
importantes soient-elles, ne modifient pas le caractère général
des deux groupes. Je ne m’étendrai pourtant pas sur le déroulement
historique de la lutte de fraction, renvoyant le lecteur à
l’article, excellent à tous égards, de Joseph Hansen, « Méthodes
d’organisation et principes politiques ».
Si
l’on fait abstraction de tout ce qui est fortuit, personnel ou
épisodique, si l’on réduit la lutte actuelle aux types politiques
fondamentaux, alors, indiscutablement, la lutte la plus conséquente
a été celle du camarade Abern contre le camarade Cannon. Abern
représente un groupe propagandiste, petit-bourgeois par sa
composition sociale, uni par de vieux liens personnels et qui a un
caractère presque familial, Cannon représente le parti prolétarien
en formation. Le droit historique, dans cette lutte —
indépendamment des erreurs et des fautes qui ont pu être commises
—, est entièrement du côté de Cannon.
Quand
les représentants de l’opposition poussent de grands cris : « La
direction a fait faillite », « Les pronostics n’ont pas été
vérifiés », « Les événements nous ont pris au dépourvu », «
Il faut changer nos mots d’ordre » — tout cela sans faire le
moindre effort pour réfléchir sérieusement à la question — ils
apparaissent, au fond, comme les défaitistes du parti. Cette triste
conduite s’explique par l’irritation et l’effroi du vieux
groupe propagandiste face aux tâches et aux rapports nouveaux dans
le parti. Le sentimentalisme des liens personnels ne veut pas laisser
la place au sens du devoir et de la discipline. La tâche qui est
devant le parti est de rompre les vieux liens de clique et d’intégrer
dans le parti prolétarien les meilleurs éléments du passé
propagandiste. Il s’agit d’inspirer un esprit de patriotisme de
parti tel que personne n’ose déclarer : «
Il ne s’agit pas tant de la question russe, mais nous nous sentons
mieux, plus à l’aise, sous la direction d’Abern que sous celle
de Cannon. »
Pour
moi, ce n’est pas d’hier que j’en suis venu à cette
conclusion. J’ai dû l’exprimer des dizaines et des centaines de
fois dans mes conversations avec des camarades du groupe Abern. Je
soulignais invariablement la composition petite-bourgeoise de ce
groupe. J’ai maintes fois proposé avec insistance de ramener au
statut de stagiaire ces compagnons de route petits-bourgeois
incapables de recruter au parti des ouvriers. Les lettres
personnelles, les conversations et les mises en garde n’ont servi à
rien, comme l’ont montré les événements ultérieurs : on apprend
rarement de l’expérience d’autrui. L’antagonisme entre les
deux couches du parti et les deux époques de son développement est
apparu à la surface et a pris le caractère d’une lutte de
fraction aiguë. Il ne reste qu’à exprimer clairement et
distinctement son opinion devant la section américaine et
l’Internationale. « L’amitié, c’est l’amitié, mais le
devoir, c’est le devoir », dit un proverbe russe.
Ici,
on peut poser la question : si l’opposition est une tendance
petite-bourgeoise, cela signifie-t-il que l’unité est impossible à
l’avenir? Comment concilier un courant petit-bourgeois et un
courant prolétarien? Poser la question en ces termes, c’est porter
un jugement unilatéral, anti-dialectique et par conséquent faux.
Dans la discussion actuelle, l’opposition a clairement manifesté
ses traits petits-bourgeois. Cela ne signifie pas que l’opposition
ne soit que cela. La majorité des membres de l’opposition sont
profondément dévoués à la cause du prolétariat et capables
d’apprendre. Liés aujourd’hui à un milieu petit-bourgeois, ils
peuvent se lier demain au prolétariat. Les gens inconsistants, sous
l’influence de l’expérience, peuvent prendre de la consistance.
Quand le parti comptera des milliers d’ouvriers, même les
fractionnistes professionnels pourront se rééduquer dans l’esprit
de la discipline prolétarienne. Il faut leur en laisser le temps.
Voilà pourquoi la proposition du camarade Cannon de laisser la
discussion libre de toute menace de scission, exclusion, etc. était
tout à fait juste et opportune.
Il
n’en est pas moins incontestable que, si le parti dans son ensemble
prenait la route de l’opposition, il pourrait connaître une
destruction totale. L’opposition actuelle est incapable de donner
au parti une direction marxiste. La majorité de l’actuel comité
national exprime d’une façon infiniment plus conséquente, plus
sérieuse, plus profonde, les tâches prolétariennes du parti que la
minorité. C’est précisément pourquoi la majorité n’a pas, ne
peut avoir d’intérêt à orienter la lutte vers la scission : les
idées justes triompheront. Mais les éléments sains de l’opposition
ne peuvent pas non plus souhaiter une scission : l’expérience du
passé a démontré très clairement que toutes les espèces de
groupes improvisés qui rompaient avec la IVe
Internationale se condamnaient eux-mêmes à la stérilité et à la
décomposition. C’est pourquoi on peut envisager sans crainte le
prochain congrès du parti. Il rejettera les nouveautés
anti-marxistes de l’opposition et garantira l’unité du parti.
[COMMENT
L’OPPOSITION VA RÉAGIR]
(15
décembre 1939)
Cher
Camarade Cannon,
Les
dirigeants de l’opposition n’ont, jusqu’à maintenant, pas
accepté la lutte sur le terrain des principes et ils tenteront de
l’éviter encore à l’avenir. Il n’est donc pas difficile de
deviner ce qu’ils diront de l’article ci-joint
:
« Il y a beaucoup de vérités élémentaires, très pertinentes
dans cet article; nous ne les rejetons absolument pas, mais il passe
à côté des réponses qu’il faut donner aux questions «
concrètes » les plus brûlantes. Trotsky est trop loin du parti
pour pouvoir juger correctement. Tous les petits-bourgeois ne sont
pas dans l’opposition, pas plus que tous les ouvriers ne
soutiennent la majorité. »
Quelques-uns
d’entre eux ajouteront sûrement que l’article leur « attribue »
des idées qu’ils n’ont jamais défendues, etc.
En
guise de réponse aux questions « concrètes », les opposants
veulent des recettes tirées d’un livre de cuisine à usage de
l’époque des guerres impérialistes. Je n’ai pas l’intention
d’écrire un tel livre de cuisine. Mais, avec notre méthode
d’étude principielle des questions fondamentales, nous serons
toujours à même de parvenir à la solution concrète correcte de
tout problème concret, aussi complexe soit-il. Dans le cas précis
du problème finlandais, l’opposition a démontré qu’elle est
incapable de répondre à des questions concrètes.
Il
n’y a jamais de tendances à composition sociale chimiquement pure.
Des éléments petits-bourgeois se trouvent inévitablement dans
toute tendance et dans tout parti ouvrier. La question se pose
seulement de savoir qui donne le ton. Dans l’opposition, ce sont
les éléments petits-bourgeois qui donnent le ton.
L’accusation
inévitable selon laquelle cet article attribut à l’opposition des
idées qu’elle n’a jamais eues s’explique par le caractère
informe et contradictoire des idées de l’opposition, dont aucune
ne peut supporter le choc d’une analyse critique. L’article n’
« attribue » rien aux dirigeants de l’opposition, il ne fait que
pousser leurs idées jusqu’au bout. Je ne peux naturellement voir
que de la touche le développement de la lutte. Mais c’est de la
touche qu’on peut le plus souvent mieux observer les traits
généraux d’une bataille.