Léon
Trotsky : « Paralysie progressive »
La
IIe
Internationale à la veille de la nouvelle guerre
(29
juillet 1939)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 21, avril
1939 à septembre 1939.
Institut Léon Trotsky, Paris 1986, pp. 318-327,
voir
des
annotations
là-bas]
La
vie interne de la IIe
Internationale est en règle générale hors de notre horizon. C’est
dû en partie au fait qu’il y a longtemps que nous avons réglé
nos comptes avec la social-démocratie, en partie au fait que cette «
Internationale » n’a virtuellement aucune vie interne dans la
mesure où ses différents partis existent dans une indépendance
complète les uns vis-à-vis des autres. Au cours des dernières
années, la IIe
Internationale a essayé de se faire aussi discrète que possible
pour ne pas révéler ses contradictions internes. Cependant
l’approche de la guerre l’a sortie de son état d’équilibre
passif. Nous avons à ce sujet un remarquable témoignage de F. Dan,
le dirigeant des mencheviks.
Dans
pratiquement aucune autre publication social-démocrate il n’est
possible de trouver un portrait aussi franc de la lutte interne dans
la IIe
Internationale que celui qu’a publié Sotsialistitcheskii
Vestnik,
l’organe menchevique publié à Paris. La franchise, comme toujours
dans de tels cas, naît de l’intensification des luttes internes.
En harmonie complète avec tout le caractère d’une «
Internationale » social-patriote, les regroupements se font sur des
lignes nationales, c’est-à-dire les lignes des intérêts des «
patries » bourgeoises. Exactement comme le monde capitaliste est
divisé entre les vaches grasses des démocraties impérialistes et
les vaches maigres et avides des dictatures fascistes, de même la
IIe
Internationale s’est brisée entre un groupe « rassasié », dont
les membres demeurent actionnaires des entreprises impérialistes
nationales et un groupe de vaches maigres chassées par le fascisme
des pâturages nationaux. La lutte se déroule précisément sur
cette ligne.
Le
rôle dirigeant dans la IIe
Internationale avant la Première Guerre mondiale était joué par la
social-démocratie allemande. Depuis la paix de Versailles, la
direction dans l’Internationale, comme dans la politique
européenne, est revenue à l’Angleterre et à la France. Quant aux
États-Unis, l’influence incontestable et à bien des égards
décisive de leur politique sur la IIe
Internationale ne s’exerce pas à travers le faible parti
socialiste américain mais directement à travers les gouvernements
européens. La docile agence social-démocrate imite en cela aussi
ses maîtres capitalistes. Exactement comme la Société des Nations
s’adaptait en dernière analyse à la politique des États-Unis, en
dépit du fait que ces derniers se tenaient à l’écart des
combinaisons européennes, de même la IIe
Internationale, surtout en la personne de ses partis britannique et
français, a considéré comme de son devoir de garder à chaque pas
un œil sur Washington et de chanter des hymnes à Roosevelt en tant
que dirigeant sacré de l’alliance des « démocraties ».
Comme
le dernier congrès socialiste à Nantes l’a franchement reconnu,
les partis gras considèrent comme leur tâche fondamentale de
défendre non seulement l’indépendance nationale de leurs pays,
mais aussi leurs possessions coloniales. Le social-patriotisme n’est
qu’un masque du social-impérialisme — nous l’avons établi dès
1914. Comme les intérêts impérialistes, par leur nature même,
entrent en conflit les uns avec les autres, il ne saurait même être
question d’une politique internationale unifiée des
sociaux-patriotes de différents pays. Dans le meilleur des cas, des
accords entre partis individuels sont possibles, qui correspondent
aux combinaisons internationales de leurs gouvernements respectifs.
Le
camp des partis maigres offre un tableau tout différent. Par le
caractère de leur bureaucratie, par leur passé tout entier et par
leurs aspirations, ces partis ne diffèrent pas des partis gras.
Mais
ils ont aussi, hélas, été privés de pâturages de même que les
patries impérialistes qui les ont chassés ont été privées de
colonies. Les gras sont ceux qui sont le plus intéressés à
préserver le statu
quo
aussi bien dans leur propre pays qu’internationalement. Pour les
maigres, le statu
quo
implique impuissance, exil, maigres rations. Les partis socialistes
italien, allemand, autrichien et maintenant espagnol ne sont pas
directement liés par la discipline de leur propre impérialisme
national qui a repoussé leurs services d’un coup de pied. Ils ont
été jetés dans une illégalité contraire à leurs traditions et à
leurs meilleures intentions. A cause de cela naturellement ils ne
sont pas le moins du monde devenus révolutionnaires. Ils ne vont pas
jusqu’à penser à préparer la révolution socialiste. Mais leur
patriotisme est pour le moment inversé. Ils rêvent avec obstination
que les forces armées des « démocraties » vont renverser leur
régime fasciste national et leur permettre de retrouver leurs
anciens postes, leurs bureaux de rédaction, leurs parlements, les
organismes dirigeants des syndicats et de rouvrir leurs comptes en
banque. Tandis que les gros sont surtout intéressés à ce qu’on
les laisse en paix, les maigres, au contraire sont intéressés à
leur façon à une politique internationale active.
Le
tableau général des deux camps est quelque peu compliqué par les
mencheviks russes. Comme l’a montré leur conduite pendant la
révolution de février, ce parti ne diffère d’aucune façon des
sociaux-démocrates allemands ou du Labour Party britannique. Les
mencheviks n’ont fait qu’entrer plus tard que les autres dans
l’arène du social-patriotisme et sont passés sous la roue avant
les autres, la roue qui les a écrasés ne tournant pas de gauche à
droite, mais de droite à gauche. Grâce à des années d’existence
illégale, à l’expérience de trois révolutions et deux exils,
les mencheviks ont acquis une certaine habileté qui leur permet de
jouer quelque chose comme un rôle dirigeant dans le camp des
maigres. Mais cela les fait haïr plus encore de leurs camarades gras
dans l’Internationale.
L’État
soviétique, dont les mencheviks ont été les victimes, a, dans
l’intervalle, tourné si brutalement le dos à la révolution
prolétarienne qu’il est devenu un allié souhaitable pour les
États impérialistes. Conformément à cela, les partis socialistes
britannique et français sont très intéressés par un rapprochement
avec le Kremlin. Rien d’étonnant que les mencheviks russes, dans
de telles conditions, soient tombés dans une position de relations
non seulement pauvres, mais compromettantes dans leur propre
Internationale.
L’article
de Dan nous apprend que « les maigres » ont proposé, il y a un an
et demi, que l’Internationale pose « le problème de la lutte pour
la démocratie et la paix à notre époque ». C’est la question de
cette politique internationale active qui rendrait aux maigres ces
couches de graisse qu’ils ont perdues. Naturellement il faut avoir
une réserve exceptionnelle d’étroitesse d’esprit
petite-bourgeoise pour ne pas avoir encore compris la loi d’airain
de la transformation de la démocratie bourgeoise en son opposé et
pour continuer à accepter la démocratie comme une valise
supra-historique dans laquelle on peut transporter un volume de Das
Kapital,
un mandat parlementaire, des bretelles de bonne qualité, un
portefeuille ministériel, des actions et des bons, « le but final »
du socialisme, une correspondance intime avec ses collègues
bourgeois et tout ce qui vous plaira d’autre, sauf, bien entendu,
des explosifs.
De
fait, la démocratie bourgeoise est la formule politique de la
liberté du commerce, rien de plus. Se donner comme objectif à notre
époque la « lutte pour la démocratie » aura le même succès et
la même signification que la lutte pour la liberté du commerce.
Cependant même ce programme s’est révélé trop radical pour la
IIe
Internationale. « Après une année de retard, gémit l’auteur de
l’article, il (le comité exécutif) a finalement essayé de mettre
en discussion le problème de la lutte pour la démocratie et la paix
à notre époque ». Mais hélas, « cette tentative a échoué ».
La résistance est venue, bien entendu, des gros. « Les plus
importants et les plus influents des partis qui ont conservé leur
statut légal » écrit Dan, « ne désiraient pas élargir la
discussion et la mener jusqu’au bout » ; ils rejetaient « la
théorisation abstraite » et « l’argumentation stérile ». Dans
un langage simple, ils refusaient de se lier par une sorte de
décision commune qui pourrait à l'avenir les mettre en conflit avec
les intérêts de leurs propres impérialismes nationaux.
Le
nœud de la question, c’est que les sections « maigres » de la
IIe
Internationale prennent au sérieux le mot d’ordre de la lutte de
la démocratie contre le fascisme, parce qu’elles sont elles-mêmes
des victimes du fascisme et sont naturellement enclines à vouloir
reprendre les postes qu’elles ont perdus avec l’aide des tanks et
des cuirassés démocratiques. Cette circonstance les rend très
dangereuses pour les sections « solides » de la IIe
Internationale. Rappelons-nous que, précisément au début de cette
année, les diplomates français et britanniques ont fait tout leur
possible pour attirer l’Italie de leur côté. Inutile de dire que
si cette tentative avait réussi, les sections britannique et
française de la IIe
Internationale se seraient adaptées parfaitement à une alliance
avec Rome, alors que la section italienne l’aurait trouvée
difficile. Tous ces espoirs extravagants pour un avenir meilleur,
c’est-à-dire la restauration du passé, résident dans une défaite
militaire de Mussolini. Il n’est guère étonnant que gras et
maigres trouvent toujours plus difficile d’arriver à des
résolutions « unanimes » et même de s’asseoir à la même
table.
La
terminologie employée par la IIe
Internationale est quelque peu différente de celle que nous
proposons. Les gras désignent simplement les maigres comme des «
morts », alors qu’ils s’appellent eux-mêmes « vivants »,
geint Dan. Si l’on en croit le même auteur, ces vivants « ont
choisi de proclamer l’existence d’un gouffre infranchissable
entre la situation révolutionnaire (?) des partis illégaux et les
partis réformistes-légaux, c’est-à-dire qu’ils ont
essentiellement affirmé le caractère artificiel de leur unification
dans une même Internationale ». Wels, Hilferding, Nenni et Dan
lui-même, ainsi que les autres « combattants pour la démocratie à
notre époque » ne peuvent pas plus être considérés comme des «
révolutionnaires » qu’un épicier en faillite comme un
prolétaire. Néanmoins, l’information factuelle du dirigeant des
mencheviks conserve toute sa validité. Les partis respectables des
empires coloniaux repus ont affirmé qu’ils n’avaient rien à
faire dans la même Internationale que les partis illégaux des pays
impérialistes affamés. «… Éliminer les partis illégaux de la
participation aux décisions dans la détermination de la politique
de l’Internationale est devenu leur but immédiat », poursuit Dan.
« Ainsi qu’on le sait, ils ont dans une large mesure réalisé
cela, pendant les sessions du comité exécutif de Bruxelles les 14
et 15 mai. » En d’autres termes, les gras ont chassé les maigres
des organismes dirigeants de la IIe
Internationale. Ils ont ainsi résolu « le problème de la lutte
pour la démocratie et la paix à notre époque ».
On
ne peut nier qu'il y ait dans leurs actions beaucoup de logique et de
sens. Les gouvernants et leurs suites ont toujours, on le sait,
préféré la compagnie des gens gras et se sont méfiés des
maigres. Jules César suspectait Cassius précisément parce qu’il
était maigre et avait l’air affamé. Ces gens-là ont tendance à
critiquer et à formuler des conclusions répréhensibles. « Votre
bourgeoisie, qui a été incapable d’acquérir des colonies à
temps, essaie maintenant de perturber le sacro-saint statu
quo;
c’est pourquoi elle vous a jetés dans l’illégalité et fait de
vous des éléments perturbateurs dans la IIe
Internationale ; vous devez comprendre vous-mêmes que vous n’êtes
que des intrus dans une organisation qui a dans ses rangs des
ministres et, de façon générale, des piliers de la loi et de
l’ordre. » Voilà ce que les vivants — ou gras — ont dans la
tête.
Les
« maigres » (ou les morts) essaient de dire qu’au congrès de
fondation de la IIe
Internationale ressuscitée tenu à Hambourg en 1923, de magnifiques
statuts ont été adoptés, reconnaissant, comme le rappelle Dan, «
la souveraineté de la politique socialiste-internationale sur la
politique nationale des différents partis et le rôle décisif de
l’Internationale non seulement en temps de paix, mais en temps de
guerre ». Il n’est pas inintéressant que les points ci-dessus
aient été introduits dans les statuts à l’initiative de Martov,
le dirigeant des mencheviks russes. Les « points » de Martov, cela
allait de soi, sont restés sur le papier. Les partis qui ont signé
ces statuts en 1923 étaient les mêmes qui avaient trahi en 1914 —
moins l’aile révolutionnaire. Les sociaux-impérialistes endurcis
étaient d’autant plus disposés à faire des concessions verbales
à leurs alliés de l’Internationale 2 ½ qu’ils avaient encore
besoin d’une couverture sur leur flanc gauche. Dans ces jours, le
Comintern était encore une organisation révolutionnaire. La «
souveraineté » des principes internationaux ? Bien sûr ! Pourvu
que « nos » colonies, « nos » marchés, « nos » concessions, y
compris, bien sûr, notre démocratie, soient préservés. Le régime
de la IIe
Internationale a reposé sur cette équivoque jusqu’à ce que
Hitler ouvre une brèche dans le système de Versailles.
Mais,
même pour l’opposition « de gauche » extrême, la «
souveraineté des principes internationaux » signifie, comme nous le
savons déjà, non une politique de classe indépendante du
prolétariat
mais
seulement une tentative d’arriver à un accord avec les autres
sections sur la question de savoir de quelle bourgeoisie la victoire
est la plus avantageuse (pour les maigres) ? Dans l’appareil de
l’Internationale, on ne trouverait pas un
seul
individu qui défende sérieusement la position de la révolution
prolétarienne. Pour tous, le prolétariat n’est qu’une force
auxiliaire de la bourgeoisie « progressiste ». Leur
internationalisme est le même social-patriotisme, mais seulement
écrasé, discrédité, craignant de s’aventurer au grand jour et
toujours à la recherche d’un camouflage.
Dan
explique la politique des partis « vivants » par la «
routine
» de leur pensée politique, leur « courte vue », leur «
empirisme
» et autres causes palpables. La « courte vue » de cette
explication saute littéralement aux yeux. L’empirisme prévaut en
politique chaque fois qu’un groupe juge désavantageux de tirer de
sa propre pensée des conclusions logiques. L’existence, a-t-on dit
une fois, détermine la conscience. La bureaucratie ouvrière est
partie intégrante de la société bourgeoise. En sa capacité de
dirigeant de « l’Opposition de Sa Majesté », le major Attlee
reçoit un salaire substantiel du chéquier royal. Walter Citrine a
gagné un titre de noblesse. Les députés jouissent d’importants
privilèges. Les bureaucrates syndicaux reçoivent de hauts salaires.
Tous sont enchaînés à la bourgeoisie par des liens permanents, à
sa presse, à ses entreprises industrielles et autres dans lesquelles
nombre de ces messieurs participent directement. Les circonstances de
leur vie quotidienne sont d’une signification incomparablement plus
importantes dans l’orientation de la politique du parti que ne
l’est le
principe
d’« internationalisme » qui a été introduit en contrebande dans
les statuts de Hambourg.
Dan
n’a rien du tout à dire sur le parti français, apparemment par
politesse pour les hôtes dont les mencheviks jouissent de
l’hospitalité. Pourtant les choses ne vont pas mieux en France. En
dépit de l’incontestable talent des Français pour la pensée
logique, la politique de Léon Blum ne diffère en rien de la
politique « empirique » du major Attlee. Les cliques dirigeantes
socialistes et syndicalistes mêlent leurs racines à celles de la
couche dirigeante de la IIIe
République. Blum n’est qu’un conservateur bourgeois moyen qui
gravite fatalement vers la société des grands bourgeois. Pendant
l’enquête sur Oustric, le banquier escroc, il fut révélé en
passant que Blum fréquentait des salons archi-bourgeois où il
côtoyait des politiciens bourgeois et des mogols de la finance, dont
en particulier Oustric et qu’à travers ce dernier, autour d’une
tasse de café, il trouva un poste pour son fils. La vie quotidienne
des sommets du parti ouvrier et des syndicats français est
entièrement faite d’épisodes aussi colorés.
La
bureaucratie dirigeante de la IIe
Internationale est la moins indépendante, la plus couarde et la plus
corrompue de toutes les fractions de la société bourgeoise. Toute
modification dans la situation, qu’elle soit à gauche ou à droite
est pour elle un danger mortel. D’où son unique aspiration : le
maintien du statu
quo.
D’où son obligatoire empirisme, c’est-à-dire la peur de
l’avenir. La politique du comité exécutif de la IIe
Internationale ne peut rendre perplexes que ceux qui, contre
l’évidence des réalités, continuent à considérer, la
social-démocratie comme le parti de classe du prolétariat. Tout se
met immédiatement en place si on comprend clairement que la
social-démocratie est un parti bourgeois qui remplit les fonctions
de frein sur la lutte de classe du prolétariat.
La
conduite des « empiristes » sur les bons salaires « a en réalité
déjà paralysé et châtré politiquement l’Internationale »,
geint Dan. Selon lui, dans les cinq mois qui ont suivi sa session de
janvier, le comité exécutif n’a pas réagi à un seul événement
international d’importance majeure (Tchécoslovaquie, Albanie,
etc.); « C’est comme si il (le C.E.) avait sombré dans un état
d’encéphalite politique ». Et le chef des mencheviks interroge :
« L’Internationale socialiste est-elle réellement menacée de la
mort qui a déjà frappé l’Internationale communiste?»… Il
poursuit : « Le premier souffle de la tempête de la guerre va-t-il
vraiment faire plus de ravages dans les fondements de l’unification
socialiste internationaliste du prolétariat que ce fut le cas en
1914? Ou cette unification elle-même va-t-elle s’effondrer avant
même que la tempête ait éclaté ? » Ce mot « vraiment » rend un
son discordant, puisqu’il est question ici d’un processus en
cours depuis longtemps et aux conséquences prédites aussi depuis
longtemps.
Mais,
aussi surprenant que cela puisse être, des questions rhétoriques
d’une plume menchevique acquièrent une force particulière. Elles
signifient que le flot des eaux a dépassé leur menton. Dan ne le
dissimule pas. Voici son pronostic « conditionnel » pour la IIe
Internationale : « Sa transformation en une sorte de S.D.N. porte en
elle la menace de la même mort dont est en train de mourir son
prototype genevois (s’il n’est pas déjà mort !) devant nos yeux
même — mort de paralysie progressive ». A quoi nous devons
seulement ajouter que cette paralysie progressive a commencé en août
1914 et qu’elle est aujourd’hui entrée dans sa phase finale.
De
façon plutôt surprenante, précisément à la veille d’une
nouvelle guerre, au moment où l’opposition social-démocrate a
commencé à ressentir des prémonitions de l’effondrement de sa
propre Internationale, le Comintern a pensé que la IIe
Internationale était mûre pour l’alliance et même la fusion. Cet
apparent paradoxe est totalement conforme aux lois sociales. Le
troupeau du Comintern est également composé de vaches grasses et de
vaches maigres et les relations entre elles sont à peu près
parallèles à celles qui existent dans la IIe
Internationale. Dans ses plans diplomatiques, le Kremlin prend en
compte les partis gras de la IIe
et de la IIIe
Internationale et pas les pauvres débris misérables des sections
écrasées par le fascisme. La IIe
Internationale éjecte « démocratiquement » de ses organes
dirigeants les chefs des partis illégaux ; le Kremlin, « de façon
totalitaire », les fusille par fournées. Ces différences mineures
dans l’ordre technique laissent intacte la solidarité politique
fondamentale. De même que la social-démocratie internationale
constitue le flanc gauche de l’impérialisme démocratique, guidé
par la Grande-Bretagne et sous le contrôle suprême des États-Unis,
de même le Comintern — instrument direct de la bureaucratie
soviétique — est, en dernière analyse, soumis au contrôle du
même impérialisme. Suivant les traces de la IIe
Internationale, le Comintern a aujourd’hui publiquement renoncé à
la lutte pour l’émancipation des colonies. Attlee et Pollitt, Blum
et Thorez
travaillent
sous le même harnais. En cas de guerre, les dernières distinctions
restant entre eux vont s’évanouir. Tous, avec la société
bourgeoise dans son ensemble, seront écrasés sous la roue de
l’histoire.
Il
nous faut répéter une fois de plus que, dans notre époque maudite,
quand toutes les forces du capitalisme, pourrissant sur pied, y
compris les vieux partis ouvriers et syndicats, sont dirigées contre
la révolution socialiste, la marche des événements donne à
l’avant-garde prolétarienne un unique avantage hors de prix : même
avant le début de la guerre, toutes les positions de départ ont été
occupées, les deux Internationales dans leur agonie mortelle sont en
train d’entrer ouvertement dans le camp de l’impérialisme — et
tout aussi ouvertement contre elles marche leur ennemi mortel, la IVe
Internationale.
Les
philistins ont tourné en ridicule nos interminables discussions sur
la question de l’internationalisme, de notre « esprit de chicane »
envers toutes les déviations social-patriotes et pacifistes. A ces
messieurs, nos idées semblent « abstraites » et « dogmatiques »
seulement parce qu’elles formulent les tendances fondamentales du
développement historique qui demeure impénétrable aux esprits
superficiels des opportunistes et des centristes. Ces tendances
fondamentales sont maintenant en train d’émerger au grand jour,
tandis que les structures bâties sur des fondations conjoncturelles
sont en train de s’écrouler. Les partis de la IIe
et de la IIIe
Internationale vont à partir de maintenant se désintégrer et
s’écrouler. Les cadres de la IVe
Internationale au contraire vont servir d’axe à la mobilisation de
couches toujours plus larges de masses prolétariennes. Nous laissons
les sceptiques étaler leurs dents gâtées. Nous marchons de l’avant
sur notre route.