Léon
Trotsky : Les Intellectuels ex-radicalisés et la réaction mondiale
La
crise des compagnons de route déçus du bolchevisme n’est pas la
crise du marxisme.
(30
janvier 1939)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 20, janvier
1939 à mars 1939.
Institut Léon Trotsky, Paris 1985, pp. 68-70, voir des
annotations
là-bas]
Au
cours de la dernière décennie, la vieille génération des
intellectuels radicalisés a fortement subi l’influence du
stalinisme. Aujourd’hui, le nombre de ceux qui s’en détournent,
dans les pays avancés tout au moins, prend des proportions plus
amples. Les uns sont sincèrement déçus dans leurs illusions,
tandis que d’autres se rendent simplement compte que le navire est
en train de s’aventurer vers des passes dangereuses. Il serait naïf
d’espérer que les déçus vont se tourner vers le marxisme qu’en
fait ils n’ont jamais connu. Pour la plupart des intellectuels,
l’abandon du stalinisme signifie une rupture complète avec la
révolution et une réconciliation passive avec la démocratie
nationaliste. Ces « désenchantés » constituent un bouillon de
culture idéal pour les bacilles du scepticisme et du pessimisme.
Ils
disent : « Il est impossible de faire quoi que ce soit actuellement.
L’Europe tout entière va quand même sombrer sous la vague du
fascisme et la bourgeoisie des États-Unis est de loin trop
puissante. Les chemins de la révolution ne conduisent nulle part.
Nous devons nous adapter au régime démocratique et nous devons le
défendre contre toutes les attaques. Il n’y a pas d’espoir pour
la IVe
Internationale du moins pas avant vingt ou trente ans encore… »,
etc.
Les
rangs des déçus ne comptent pas seulement des staliniens, mais
aussi des compagnons éphémères du bolchevisme. Victor Serge, par
exemple, a récemment annoncé que le bolchevisme trouverait une
issue qui annonce une « crise du marxisme ». Dans son innocence
théorique, V[ictor] Serge s’imagine être le premier à faire
cette découverte. Cependant, à chaque époque de réaction, des
dizaines et des centaines de révolutionnaires versatiles se sont
levés pour annoncer la crise, la crise finale, cruciale et mortelle
du marxisme.
Que
le vieux parti bolchevique se soit épuisé, qu’il ait dégénéré
et qu’il ait péri ne se discute même plus. Mais la fin d’un
parti historique qui, pendant une certaine période, s’est basé
sur la doctrine marxiste, ce n’est pas la fin de cette doctrine. La
défaite d’une armée n’infirme pas les principes fondamentaux de
la stratégie. Un artilleur peut tirer loin de sa cible, cela
n’infirme pas la balistique, c’est-à-dire la science de
l’artillerie. Et, si l’armée du prolétariat essuie une défaite,
ou si son parti dégénère, cela n’infirme pas le marxisme, qui
est la science de la révolution. Que Victor Serge lui-même traverse
« une crise », que ses idées s’embrouillent désespérément,
cela se voit. Mais la crise de Victor Serge n’est pas la crise du
marxisme.
En
tout cas, aucun révolutionnaire sérieux ne songera à se servir
d’intellectuels perdus dans leur confusion, de stalinistes déçus
ou de sceptiques découragés comme unités de mesure pour mesurer la
marche de l’histoire. La réaction mondiale a indiscutablement pris
des proportions monstrueuses actuellement. Mais, par là même, elle
a préparé le sol pour la plus grande crise révolutionnaire. Le
fascisme s’établira peut-être sur l’Europe entière. Mais il ne
pourra s’y maintenir non seulement « mille ans » comme Hitler le
rêve, mais même pas dix ans. Le fascisme sur l’Europe, cela
signifierait une aggravation monstrueuse des contradictions de classe
et des contradictions entre nations.
Il
est absurde, antiscientifique et anti-historique de croire que la
réaction puisse continuer à s’étendre pas à pas comme elle l’a
fait jusqu’à présent. La réaction, c’est la suppression
mécanique des contradictions sociales. Et à un certain moment
l’explosion est inévitable. La réaction mondiale sera renversée
par la plus grande catastrophe de l’histoire, ou plus exactement
par une série de catastrophes révolutionnaires. La guerre que tout
le monde attend dans l’avenir le plus proche causera l’effondrement
de toutes les illusions. Non seulement des illusions du réformisme,
du pacifisme et de la démocratie, mais également des illusions du
fascisme. Le seul phare qui s’élèvera au-dessus de ce chaos
sanglant : le phare du marxisme.
Hegel
aimait à répéter : « Tout ce qui est rationnel est réel. » Cela
veut dire : toute idée qui correspond à des besoins objectifs de
développement vaincra et triomphera. Aucun intellectuel honnête ne
pourra nier que toute l’analyse et tous les pronostics des
bolcheviks-léninistes (IVe
Internationale) pendant les quinze dernières années n’aient été
et ne soient encore confirmés par les événements. C’est
justement par la certitude de cette vérité que les sections qui
constituent la IVe
Internationale sont fortes et immuables. Les catastrophes du
capitalisme européen et mondial qui menacent l’humanité feront
place nette devant les cadres des marxistes révolutionnaires,
éprouvés.
Que
les déçus enterrent leurs morts. La classe des travailleurs n’est
pas un cadavre. Comme auparavant, c’est sur elle que repose la
société ! Elle a besoin de nouveaux guides et elle ne les trouvera
que dans la IVe
Internationale. Tout ce qui est rationnel est réel. La
social-démocratie et la stalinocratie ne représentent plus
aujourd’hui que de prodigieuses fictions. Mais la IVe
Internationale est une solide vérité.