Léon
Trotsky : Guerre impérialiste, classe ouvrière et nations opprimées
(5
septembre 1939)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 21,
avril
1939 à septembre 1939.
Institut Léon Trotsky, Paris 1986, pp. 393-395,
voir
des
annotations
là-bas]
J'ai
parlé hier de la responsabilité immédiate de la guerre. Hitler a
commencé des opérations militaires sanglantes. Staline a aidé
Hitler à les commencer. Cette fois, la responsabilité immédiate,
pour ainsi dire « juridique », du déclenchement
des activités militaires apparaît plus clairement que dans la
dernière guerre. La question de la responsabilité joue, comme on
sait, un rôle important dans la propagande internationale des deux
camps, chacun des belligérants essayant de rejeter la responsabilité
sur l’ennemi.
Du
point de vue historique et politique, ce critère juridique (ou
diplomatique) ne joue toutefois qu’un rôle tout à fait
secondaire. Il existe des guerres progressistes, justes, et des
guerres réactionnaires, injustes, indépendamment de qui a «
commencé ». Du point de vue historique scientifique, les guerres
progressistes et justes sont celles qui servent la libération des
classes ou des nations opprimées et font ainsi progresser
l’humanité. Les guerres réactionnaires, au contraire, sont celles
qui cherchent à préserver un ordre social périmé, qui contribuent
à asservir les classes laborieuses et les nations arriérées ou
faibles. En conséquence, la question n’est pas de savoir qui a «
commencé » mais bien quelle classe dirige la guerre et avec quels
objectifs historiques. Si la classe opprimée ou une nation opprimée
apparaît en tant qu’ « agresseur » agissant pour sa libération,
nous saluerons toujours avec joie cette agression.
Les
tentatives pour présenter la prochaine guerre comme une guerre entre
démocraties et fascisme ont été secouées par la marche réelle
des événements. La guerre actuelle que ses participants ont
commencé à préparer avant même la signature du traité de
Versailles a surgi des contradictions inter-impérialistes. Elle
était aussi inévitable que la collision de deux trains lancés à
la rencontre l’un de l’autre sur les mêmes rails.
Les
principaux antagonistes sur le continent européen sont France et
Allemagne. Dans la lutte pour l’hégémonie en Europe et pour ses
colonies, la France a essayé de maintenir l’Allemagne (pas
l’Allemagne fasciste, l’Allemagne démocratique) dans la division
et la faiblesse. En ce sens, l’impérialisme français a été
l’accoucheur du national-socialisme allemand. L’Angleterre au
contraire, qui avait intérêt à briser l’hégémonie française
en Europe et ses prétentions internationales, a commencé, aussitôt
après Versailles, à soutenir Berlin contre Paris : Le
réarmement de l’Allemagne nazie eût été impossible sans l’aide
directe de l’Angleterre.
Ainsi les antagonismes, camouflés mais profonds, entre les
démocraties ont-ils constitué un tremplin pour Hitler.
A
Munich, l’Angleterre a soutenu Hitler dans l’espoir qu’il se
contenterait de l’Europe centrale. Mais, quelques semaines plus
tard, l’Angleterre s’est aperçue que l’Allemagne luttait pour
la domination mondiale. Dans son rôle de puissance colonisatrice
mondiale, la Grande-Bretagne ne pouvait manquer de répondre par la
guerre aux prétentions sans limites de l’Allemagne.
Des
machinations diplomatiques jonglant avec la formule « démocratie
contre fascisme » non plus que les sophismes sur la responsabilité
ne peuvent nous faire oublier que la
lutte oppose les esclavagistes impérialistes de différents camps
pour un nouveau partage du monde.
Quant à ses objectifs et ses méthodes, la guerre actuelle est la
continuation directe de la grande guerre précédente, avec seulement
une décomposition plus avancée de l’économie capitaliste et des
méthodes beaucoup plus terribles de destruction et d’extermination.
En
conséquence, je ne vois pas la moindre raison de changer les
principes par rapport à la guerre tels qu’ils ont été élaborés
entre 1914 et 1917 par les meilleurs représentants du mouvement
ouvrier sous la direction de Lénine. La guerre actuelle est
réactionnaire des deux côtés. Quel que soit le camp qui l’emporte,
l’humanité sera rejetée loin en arrière.
La
tâche des représentants authentiques de la classe ouvrière et des
nations opprimées ne consiste pas à aider un camp impérialiste
contre un autre, mais à enseigner aux masses travailleuses de tous
les pays à comprendre la signification réactionnaire de la guerre
actuelle, à avancer leur propre programme —
la
fédération socialiste mondiale des nations
— et à se préparer à remplacer le régime du banditisme par
celui de la coopération générale.
C’est
le programme de la IVe
Internationale. Il apparaît utopique aux prétendus réalistes qui
ne comprennent pas la logique de développement historique. La IVe
Internationale ne regroupe maintenant qu’une faible minorité. Mais
le parti de Lénine aussi ne représentait qu’une minorité
insignifiante au début de la dernière guerre et ne recevait que
mépris des héros bon marché de la phrase. La guerre est une sévère
école. Dans le feu de la guerre, habitudes d’esclaves et préjugés
anciens vont être totalement brûlés. Les nations sortiront de la
guerre différentes de ce qu’elles étaient en y entrant et elles
reconstruiront notre planète conformément aux lois de la raison.