Léon
Trotsky : Lettre au congrès du Leninbund
(janvier
1928)
[Source
Léon Trotsky, Œuvres 2e série, volume 1, janvier 1928 à juillet
1928. Institut Léon Trotsky, Paris 1988, pp. 64-67,
voir
des
annotations là-bas]
La
situation de l’Opposition à l’intérieur du K.P.D. comme chez
les « communistes de gauche » exige une appréciation générale
sur les perspectives. Il faut répondre à la question : quelle
est l’orientation de l'Opposition ?
1. Il
est impossible d’établir l’existence d’un développement des
gauches ou d’un mouvement de masses. La conquête de Suhl et du
Palatinat
paraît être le résultat de phénomènes locaux mais non de
regroupements dans les masses du parti. Pourquoi progressons-nous
précisément dans ces deux endroits alors que nous avons marqué un
net recul dans une localité prolétarienne comme Wedding?
L’impression générale est que nous ne progressons pas dans le
parti lui-même.
2. Le
test le plus important est l’exemple d’Altona.
Si nous examinons les deux premiers numéros de Die
Fahne des Kommunismus
publiés depuis cette défaite – nous n’avons pas vu le suivant –
, il semble que nos amis n’ont pas suffisamment tenu compte de la
raison pour laquelle nous avons subi à Altona une telle défaite et
les perspectives qu’elle ouvre. La réponse à cette question est
la réponse à la question centrale pour les gauches en Allemagne.
3. Le
C.C. du K.P.D. n’a ni moyens d’État ni moyens économiques pour
obliger les masses à demeurer dans le parti et à se soumettre à sa
politique, et, bien que le C.C. ait très peu d’autorité et mène
une politique très mauvaise, il reste dans le parti un noyau de 60 à
80000 ouvriers. Qu’est-ce qui les y retient tous ? Deux idées : à)
après leurs expériences de la guerre, ils ne veulent pas revenir au
S.P.D. ; b)
ils veulent soutenir l’U.R.S.S. et la défendre. Ces deux idées
révolutionnaires positives donnent sa force au K.P.D. et jouent
momentanément contre l’aile gauche, aussi paradoxal que cela
puisse paraître. Pour les raisons suivantes : tous ceux qui ont été
exclus ou qui ont quitté le K.P.D. sont allés au S.P.D. La masse du
parti ne tient pas compte de ce que, jusqu’en 1923, ce furent
réellement des droitiers qui furent exclus de l’I.C. et que
maintenant, ce sont des gauches. Elle attend, méfiante, pour voir si
Urbahns, Ruth Fischer, etc. ne vont pas aller au S.P.D. ; c) toutes
les critiques contre la révolution russe ont été faites par la
presse bourgeoise et celle du S.P.D. La masse du parti ne s’interroge
pas actuellement sur le caractère de cette critique ni si elle est
faite parce que le parti mène une politique de gauche ou une
politique de droite. La masse du parti ne veut voir en U.R.S.S. que
ce qui est bon. Elle ne comprend pas encore que la
critique de l’Opposition constitue la défense de la dictature en
Russie. A
ces deux facteurs qui sont causes de la faiblesse des gauches en
Allemagne s’en joint encore un troisième : les
gauches ont été les seuls
à avoir eu une
position internationale révolutionnaire juste, mais
quelle que soit l’importance de cette position – dans les moments
cruciaux, elle peut être décisive – , la gauche ne peut pas
gagner, ni attirer de grandes masses sans critique de la politique
intérieure du K.P.D. convaincante pour les masses du parti, sans
faire des propositions pratiques qui soient plus convaincantes que
celles du C.C.
4. Si
la gauche se concentre davantage sur les questions allemandes, si
elle prend vis-à-vis d’elles une position juste, c’est-à-dire
si elle fait des besoins de la masse le levier de l’agitation, elle
se renforcera avec le temps, car les deux facteurs prépondérants
pour sa faiblesse perdront de leur force. La période d’attente
dans laquelle les ouvriers se sont demandés si Urbahns, Ruth
[Fischer], Maslow, n’iront pas au S.P.D. prendra fin. Staline
bénéficie de plus en plus des louanges de la presse bourgeoise et
cela inquiète les ouvriers communistes. La situation en Russie
devient de plus en plus claire et la justesse des accusations de
l’Opposition russe est confirmée par des faits qui sont également
visibles pour les ouvriers européens.
5. Le
mouvement général des masses ouvrières vers la gauche dont
bénéficient à présent le S.P.D. et le K.P.D. favorisera un
regroupement de gauche dans les masses en faveur du K.P.D. et fera
place dans le K.P.D. à un mouvement vers l’Opposition. Les
communistes de gauche peuvent devenir un mouvement de masses.
6. Ce
processus sera perturbé dans deux cas : si l’Opposition abdique
dans le K.P.D., renonce à la propagande en faveur de ses
conceptions, voire les renie comme l’a fait Zinoviev. Ce serait une
capitulation. Mais l’Opposition se dessécherait aussi dans le cas
où elle s’organiserait en deuxième parti. Le K.P.D. est à 99 %
un parti ouvrier : si la masse du parti bouge, elle peut amender la
politique du parti, la pousser vers la gauche. La bureaucratie du
parti, en revanche, n’a que de faibles moyens de puissance et c’est
pourquoi un deuxième parti n’est pas nécessaire. Sa fondation ne
ferait que gêner le processus de cristallisation de l’aile gauche
dans le parti. L’ouvrier communiste sait combien la lutte est
difficile contre le S.P.D. et les partis bourgeois. Il ne veut pas
d’émiettement des forces communistes, il ne va pas croire que le
K.P.D. n’est plus communiste, car il est le parti de l’opposition
la plus vigoureuse et les communistes de gauche n’ont à présent à
lui offrir que l’opposition. Certes une opposition plus claire et
plus fondamentale, mais une opposition seulement, pas une lutte
directe pour le pouvoir. La masse ouvrière communiste ne suivra pas
un second parti communiste, même si elle est prête à tourner vers
la gauche le gouvernail du parti.
7. Le
test sera les élections au Reichstag. Jusqu’à présent nous
avions des députés qui avaient été élus autrefois sur des listes
générales. Il s’agit maintenant de lutter pour avoir des mandats
des masses. Cela signifie : ouvriers, n’allez pas au K.P.D., venez
« à nous », c’est-à-dire au deuxième parti. Un journal à nous
peut servir à poursuivre le but : rentrez dans le K.P.D. et
améliorez sa politique, faites pression sur lui pour qu’il aille à
gauche. Nos
propres candidatures signifient : le K.P.D. n’est plus communiste.
A bas le K.P.D.
/ Franchir un tel pas, c’est achever la scission et cela rendra
impossible la conquête du parti. Ce serait un suicide.
8. Alors,
que faire? Les exclus restent un groupe de propagande avec leur
hebdomadaire et agissent de l’extérieur du parti. Ils doivent
donner à leur journal la même attitude que s’ils étaient membres
du parti. Une critique de camarades, sans exagération. Ils ne
doivent pas se laisser provoquer par la façon dont on les combat.
Les oppositionnels dans le parti luttent par tous les moyens, parlent
dans les réunions, écrivent dans la presse du parti là où nous
avons la majorité, conquièrent des organes et les transforment dans
le sens de l’Opposition. Ils
se soumettent aux décisions, mais ils luttent durement pour leurs
convictions.
Avant tout, ils se font les défenseurs de la lutte de classes
intrépide, les défenseurs de la ligne communiste dans le parti.
Leur exclusion du parti ne sera pas aussi facile qu’en Russie, mais
si elle a lieu avec cette tactique, elle ne nous fera pas disparaître
parce qu’elle suscitera dans le parti de nouveaux adhérents à
l’Opposition. Du fait de la lutte de classes en Allemagne,
l’unification
sera ensuite plus facile.