Homélie de Monseigneur Boulanger à l'occasion de la messe d'action de grâce du 8 décembre 2019

 Restauration de l’église saint Pierre – Caen – 8 Décembre 2019

Chers Amis,

Au moment où nous nous retrouvons pour célébrer la restauration de l’église Saint Pierre, il est bon de nous rappeler que nous sommes toujours à la fois héritiers et bâtisseurs. Même si l’église Saint Pierre est moins célèbre que la cathédrale de Paris, j’aimerai dire merci à vous les élus et à tous les artisans, je dirai plutôt des artistes pour la restauration de cette église. Vous avez fait avec moins de moyens que Notre dame, mais vous en avez d’autant plus de mérites. Vous le savez : Les français tiennent à leur patrimoine religieux. Il nous faut allier l’amour des vieilles pierres et l’intérêt pour le numérique. Les Français sont toujours un peu singuliers à ce niveau. Il ne faut jamais oublier qu’ils sont à la fois les fils de Voltaire et de Pascal. Cela donne un mélange parfois détonnant, et c’est la raison pour laquelle ils forment un peuple plein de contradictions. Il est bon de nous rappeler le sens de ce symbole que représente le bâtiment église. Malraux qui se disait agnostique écrivait : « Une église, c’est d’abord un intérieur, autour duquel tout le reste se développe ». Effectivement ce qui fait se tenir cet édifice, c’est la prière de ceux qui l’habitent depuis tant de générations. C’est la raison pour laquelle, certains aiment passer un moment dans une église pour y trouver une paix, non seulement extérieure mais intérieure. C’est à la fois un lieu où l’on se rassemble et un endroit où on aime se retrouver seul. Alors réjouissons-nous pour le fait que cette église soit à nouveau ouverte.

1)      Le bâtiment église est un signe.

Quand on arrive dans ce quartier, on voit le château et l’église. Nous sommes bien héritiers de tout un passé. Bien sûr les personnes âgées de ce quartier se souviennent peut-être de leur communion ou de leur mariage dans cette église. Mais cela va bien plus loin. Cette église évoque nos racines. Un arbre sans racine ne tient pas dans la tempête. Et les peuples sans mémoire sont des peuples sans avenir. En même temps cette église est là au milieu des commerces, de l’arrivée du tram. Elle est ouverte aussi bien aux touristes comme aux migrants. Souvent, pour repérer un village au loin, c’est l’église que l’on voit en premier. En regardant le clocher, elle nous invite à lever la tête vers le ciel. Elle nous fait découvrir une autre dimension de la vie. Un proverbe dit : « Si tu veux trouver une pièce d’or, ne regarde pas le ciel mais la terre qui est à tes pieds ». Et pourtant, regardez comme tout peut s’arrêter au moment des funérailles ou d’un mariage. « L’homme ne vit pas seulement de pain » dit Jésus, « il a un esprit et une âme ».

En regardant la pointe du clocher, nous sommes invités à élever nos cœurs vers Dieu ; c’est tout le sens de notre prière. Il y a aussi une dimension protectrice de l’église : présence protectrice pour toute la population. Combien de personnes m’ont dit : « S’il n’y a plus d’église, si elle est fermée, on a l’impression d’être abandonnés ». 

Les cloches sonnent dans les circonstances majeures de la vie chrétienne. Lorsque l’évêque bénit la cloche, il prononce ces paroles : « Seigneur, notre Dieu, que la voix de cette cloche, comme un écho de ton appel, nous rassemble autour de toi. Que sa sonnerie nous rappelle, au long des jours, ta présence invisible parmi nous. Qu’elle soit l’expression vivante de nos joies et de nos peines ». Le glas ne ressemble pas à la volée des cloches, nous le savons bien. Il n’annonce pas la même réalité. Parfois, on voudrait même qu’elles sonnent sans déranger. Jésus, lui-même, n’a pas réussi à faire ce miracle. L’église signifie sans doute cette rencontre de Dieu et de l’homme, de l’absolu et du relatif, du temps et de l’éternité.

2)      L’église est une présence.

Vous connaissez, peut-être, ce texte de Raymond Devos décédé en 2006. A sa manière, et avec beaucoup d’humour, il nous rappelle le sens de cette rencontre entre Dieu et l’humanité. « J’ai lu, quelque part « Dieu existe, je l’ai rencontré ! ». (C’était un livre célèbre d’André Frossard.) ça alors ! ça me surprend. Que Dieu existe, la question ne se pose pas. Mais que quelqu’un l’ait rencontré avant moi, ça m’étonne. Parce que j’ai eu la chance de rencontrer Dieu, juste à un moment où je doutais de Lui. C’était dans un petit village de Lozère, abandonné des hommes. Il n’y avait personne, plus personne. Et en entrant dans la vieille église, poussé par je ne sais quel instinct, j’ai vu une lumière intense, insoutenable. C’était Dieu … Dieu en personne, Dieu qui priait.

Je me suis dit : « Qui prie-t-il ? » Il ne se prie pas Lui-même. Pas Lui ? Pas Dieu ? Non, il priait l’homme. IL me priait moi. IL doutait de moi comme j’avais douté de Lui.

IL disait : « ô homme, si tu existes, un signe de toi ! ». J’ai dit : « Mon Dieu, je suis là ! ».IL m’a dit : « Miracle ! Une humaine apparition ! ». J’ai dit : « Mais, mon Dieu, comment pouvez-vous douter de l’existence de l’homme puisque c’est Vous qui l’avez créé ? ». IL m’a dit : « Oui, mais il y a si longtemps que je n’en n’ai pas vu un dans mon église que je me suis demandé si ce n’était pas une vue de l’Esprit ». J’ai dit : « Vous voilà rassuré, mon Dieu ». IL m’a dit : « Oui, je vais pouvoir leur dire là-haut : l’homme existe, je l’ai rencontré ! ». Peut-être qu’en ouvrant nos églises nous permettons à Dieu de ne pas douter de l’être humain.

L’église symbolise le mystère d’une Présence : un Dieu qui se donne. Pour les chrétiens, c’est l’Eucharistie, mais tout dépend de celui qui l’accueille. En tout cas, l’église imprégnée de la prière de tant de générations, révèle au monde le mystère d’une Présence. Quand l’homme étend les bras, il prend la forme d’une église, d’une croix. N’est-ce pas la forme même que Dieu un jour a prise, pour nous rejoindre au cœur de notre histoire humaine ? Et si le silence qui habite cette église, était un trop plein de présence, celle même de Dieu ! En même temps la communauté chrétienne a choisi comme symbole le tablier du service. C’est un très beau symbole comme l’écrivait Tagore, ce sage hindoue  comme Gandhi, décédé en 1957 : « Je rêvais que la vie n’était que joie. Je découvris que la vie est service. Je me suis mis à servir et que compris que le service est joie ».

Peut-être que l’homme ou la femme qui entreront dans cette église ne seront plus les mêmes quand ils en sortiront ? Puissent- ils découvrir que Dieu, lui-même, s’est fait Présence, pour les rejoindre au cœur de leur vie.

 

                                                                 + Jean-Claude BOULANGER

                                                                  Evêque de Bayeux - Lisieux