Kalevi Aho (1949)

Symphonie n°4 (1972-73)

La 4ème symphonie de Kalevi Aho est, à mon humble avis, une œuvre majeure de la seconde moitié du XXème siècle. Bien qu’il s’agisse d’une musique parfaitement abstraite, ne portant ni titre ni référence à quoi que ce soit d’évocatif ; il m’est personnellement difficile, à travers le cheminement lugubre, dépressif et cataclysmique de l’œuvre, de ne pas y voir non seulement une sorte de regard lucide et implacable sur le proche passé de l'Europe voire du monde, mais au-delà de ce « raccrochage » temporel et historique que je me permets, Aho semble nous livrer brutalement dans cette symphonie l’expression de tout ce qu’il y a de plus destructeur, d’infiniment stupide et d’absurdement vain dans la nature humaine… Coup de génie absolu, cette musique est à la fois distante voire glaciale et d’une expression torturée, viscérale quasiment mahlérienne.

Moins « moderniste » que certaines de ses œuvres plus tardives ou que d’autres compositeurs contemporains, Aho trouve non seulement un équilibre esthétique et formel rare entre langage « néoclassique » et techniques d’écriture plus « modernes » (cfr. Partie centrale du dernier mouvement), mais ces juxtapositions répondent à une nécessité expressive dénuée de tout intellectualisme ou de tout concept hermétique. La structure de cette symphonie est claire, son cheminement d’une logique limpide.

Ce qui frappe le plus dans cette musique, c’est l’alternance entre moments d’introspection, d’immobilité profonde et agitation nuisible, violence, menace, bruit, destruction auxquels l’individu semble confronté malgré lui et contre lesquels ce dernier ne peut rien changer ou opposer. L’individu face au rouleau compresseur de l’histoire ? Même la fuite (deuxième mouvement) semble impossible…

L’œuvre est en trois mouvements. Elle s’ouvre par un long « Adagio » débutant sous forme fuguée dans une atmosphère de solitude et de dénuement complets, d’introspection pénétrante. Le long thème de cette fugue présenté par les violons à nu est composé de plusieurs éléments qui réapparaîtront de manière cyclique tout au cours de l’œuvre.

Au moment de l’exposition de la troisième voix aux violoncelles, des rythmes longs-brefs (violons et alti) qui sont caractéristiques des ouvertures à la française. Ce rythme, sous sa forme pointée binaire ou ternaire (fanfares de cuivres plus tard dans la partie centrale) est synonyme de cataclysme. Cela se confirmera dans le scherzo (deuxième mouvement).

Cette méditation est perturbée par des interventions de plus en plus menaçantes de fanfares

Au cœur de ce premier mouvement, le thème initial de la fugue réapparaît sous forme d’un choral joué par le pupitre des violoncelles divisé à quatre parties. Ce moment sonne avec la pureté d’une prière, comme si soudain un chœur se faisait entendre avec ardeur mais retenue. Mais cette prière sonne à la manière d’un requiem et se perd comme une brume dans le lointain.

Le climax de l’œuvre est basé sur la fin (notes répétées) du thème fugué initial présenté en canon avec une implacable fatalité.

La coda du premier mouvement, avec ses superpositions polytonales, semble désincarnée, planer dans un au-delà désincarné

la dernière phrase aux violons cependant referme cette page comme elle avait commencé, dans une solitude et un dénuement dépressifs…

Le scherzo central « Allegro - Presto », d’essence shostakovo-prokofienne, est une course à l’abîme dont le caractère implacable et sardonique donne la sensation effrayante qu’une masse de décérébrés hystériques sûrs d’eux nous pousse dans le dos vers on ne sait trop quoi, mais à l’évidence rien de bien réjouissant… Le mouvement progresse par vagues successives. La dernière de celles-ci, au caractère grotesque et militaire, s’impose de façon imbécilement répétitive, écrase et finit par absolument tout balayer sur son passage, véritable tsunami orchestral où apparait à nouveau le rythme « à la française » du premier mouvement qui ici nous précipite vertigineusement vers des abysses d’un désastre indescriptible. A l’écoute d’une telle musique, il est particulièrement saisissant et ambigu d’éprouver une sorte d’irrésistible jouissance libératrice car non seulement la seconde vague de ce scherzo nous entraîne irréversiblement mais une sorte de fureur infinie se libère. Au moment le barrage cède, la déferlante d’horreurs fait table rase sans plus la moindre nuance. Jouissance à voir « enfin » se réaliser ce qu’annonçait avec effroi le premier mouvement ? Après une apothéose aussi triviale que faussement triomphante, le mouvement se s’achève glacialement dans la nuance piano puis pianissimo par une sorte d’hideuse valse fantomatique et claudicante qui vision s’estompe assez rapidement et laisse place à un dernier borborygme indifférent du contrebasson, comme si tout cela ne méritait finalement pas plus de considération qu’un vulgaire rôt. Vanitas vanitatum omnia vanitas…

Le dernier mouvement « Lento – Molto rubato – Tempo di fanfare - Lento » s’ouvre pas des trémolos suspendus des cordes qui font penser à une sorte d’ « après tsunami », ou un « après bombardement »... L’atmosphère est atemporelle, le paysage désertique, rappelant quelque peu le lugubre Finale de la sixième symphonie de Ralph Vaughan Williams. Apparaît ensuite un long thème, dérivé du thème initial de la symphonie, joué par le premier violon solo doublé d’une flûte. Ce passage rappelle l’adagio final de la neuvième symphonie de Gustav Mahler. Est-ce une déploration, la plainte désemparée du dernier survivant au milieu de rien ?...

La partie centrale de ce mouvement est inattendue. Que peut-il encore arriver de pire ? Des piaillements et des glissades des bois sont bientôt suivis d’une accumulation rapide de glapissements agités, de sarcasmes et de ricanements des cuivres. Le premier violon solo semble vouloir faire taire ou du moins coordonner ce tumulte chaotique, dépité qu’on ait perturbé sa méditation suspendue.

Une courte fanfare triviale en sol majeur éclate ensuite. Est-ce un sursaut de vie, d’espoir ? Non, plutôt un pied de nez.

Reviennent enfin les trémolos suspendus du début de ce Finale, mais cette fois-ci, les six cors bouchés défilent lugubrement derrière ce tapis, sorte d’écho ou de souvenir macabre de l’agitation passée, ou vision de ce que nous réserve l’avenir. L’œuvre s’éteint enfin peu à peu dans la plus parfaite irrésolution…

Cette symphonie ferait presque passer certaines œuvres de Shostakovich pour de la musique légère tant cette quatrième symphonie est traversée d’un incurable et crépusculaire désespoir...

http://www.musicweb-international.com/Aho/Aho.htm

Sa septième symphonie "Insect symphony" (1988)