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The Monthly Extractor (Vol 33, issue 12 dec. 2011)

Ma liste de travaux apicoles de décembre

Par Serge Labesque ©

(Extrait librement traduit par Lalibéla, article original en anglais ici )


[Ce mois-ci, au lieu de poursuivre la deuxième partie de l’histoire de mes premières abeilles, j’ai décidé au dernier moment d’écrire au sujet d’un aspect remarquable du congrès annuelle 2011 de la CSBA (ndlr : Association des Apiculteurs de l’Etat de Californie) qui s’est tenue à Rohnert Park mi-novembre.]

La plupart des apiculteurs et des scientifiques conviennent que plusieurs facteurs influent sur la situation des abeilles mellifères :  l’utilisation généralisée de nombreux pesticides, la perte de biodiversité, des pratiques apicoles éprouvantes, la malnutrition, les nouveaux et moins nouveaux nuisibles et maladies, la liste est longue. Je suis d’accord sur ce point. Mais, en me basant sur ce dont j’ai été témoin au congrès, je peux affirmer que l’une des principales causes de mortalité des abeilles, jamais mentionnée, peut simplement être la peur ! La peur des apiculteurs de perdre leurs colonies. Les symptômes étaient évidents dans la plupart des interventions auxquelles j’ai assisté, dans la plupart des expositions que j’ai vues et dans de nombreux débats que j’ai suivis. Cette peur est la plus grave des maladies, elle est plus contagieuse que la loque américaine, elle est répandue chez tous les apiculteurs ! Voici son mode d’action : Quand les apiculteurs succombent à cette affliction, ils s’arrachent tous ce qui est disponible dans l’arsenal des traitements sanitaires qu’ils pensent pouvoir protéger leurs abeilles. Ils mettent ces produits dans leurs ruches, introduisent des « super reines » et gavent leurs abeilles avec des produits incroyables. Cette entrave flagrante au processus de sélection naturelle affaiblit les abeilles en maintenant artificiellement en vie des colonies non viables, leur permettant ainsi de propager des gènes inadaptés.

Pour aggraver le problème, la peur de perdre des colonies se transmet entre apiculteurs. C’est particulièrement le cas chez les apiculteurs débutants, qui tiennent compte des recommandations de leurs mentors. Ils traitent leurs ruches que les abeilles soient malades ou non. Moi aussi je l’ai fait. J’ai traité mes colonies quand j’ai débuté l’apiculture, seulement parce qu’on m'a dit de le faire, seulement parce que la même recommandation était écrite dans tous les livres que j’ai lus, et parce qu’ils insufflaient en moi la peur de perdre mes abeilles, sans qu’aucune autre alternative ne soit proposée. Ce fut particulièrement idiot de ma part car mes premières abeilles étaient résistantes, en bonne santé, et l’avaient été naturellement, sans aucune intervention depuis plus de 10 ans. Ces abeilles m’ont hurlé que tout allait bien, qu’il n’était pas nécessaire d’introduire  ces épouvantables produits chimiques dans leurs nids à couvain. Et pourtant, je l’ai fait, uniquement parce que je n’avais pas encore le courage ou la perspicacité pour remettre en cause les pratiques discutables des apiculteurs « expérimentés ». Aujourd’hui, je suis complètement guéri de cette phobie. Les abeilles qui sont dans mes ruches vaquent à leurs occupations sans aucune intervention mal inspirée de ma part. Elles restent en bonne santé grâce à leurs propres mécanismes de défense, et je leur fais confiance pour savoir mieux que moi comment combattre n’importe laquelle de leurs maladies.

Je profite simplement d’elles et de leur miel d'une qualité irréprochable. Ne vous méprenez pas: je perds quelques colonies de temps en temps. Mais au lieu d'avoir peur de ces pertes, je les voie comme des événements bénéfiques, comme une façon qu’ont l'espèce et la nature d'éliminer les éléments inaptes. Je ne m’y oppose pas.

Le congrès fût un déluge de présentations empreintes de conseils et de publicités pour tel ou tel traitement. Les apiculteurs professionnels constituaient la grande majorité des participants. Comme leurs revenus dépendent des abeilles, ils ont une peur chronique de subir trop de pertes de colonies. Ils croient fermement en l’absolue nécessité de traiter les ruches. Ils sont donc venus au congrès pour connaître quel est le dernier traitement disponible. Une chose est sûre, ils ont été copieusement servis. Ils n’avaient en tête que camions entiers de ruches, citernes de sirop, contrats de pollinisation et récoltes de miel. Pour la plupart, ce sont trop de préoccupations pour se permettre de réfléchir aux coups qu’infligent leurs pratiques à l’espèce. Ils ne sont intéressés que par continuer leurs affaires à tout prix.

Il y avait aussi quelques apiculteurs amateurs. Ceux d’entre-nous, selon la CSBA, qui ne gagnent pas leur vie avec les abeilles. Beaucoup étaient des débutants ou de futurs apiculteurs. Durant les sessions de questions / réponses, ils demandaient fréquemment : « Alors, Avec quoi devrais-je traiter mes abeilles ? Comment l’appliquer ? A quelle fréquence ? » Je n’ai pas entendu une seule fois: « Est-ce réellement nécessaire de traiter mes abeilles ? » Je ne les blâme pas, parce que j’ai fait la même chose.

Mais que dire des intervenants ? Le micro à la main, ils sont sensés faire autorité. Bien sûr, ils ont dû répondre, se lançant dans l’énumération de la longue liste des différents traitements qu’ils connaissaient… mais en oubliant le plus important : Ne faire aucun traitement contre les nuisibles et les maladies. Sans doute sont-ils les vecteurs principaux de cette peur.

Endoctrinés ! Les apiculteurs sont endoctrinés depuis le tout début. Dès l’instant ou nous songeons à avoir des abeilles, on nous apprend à avoir peur de perdre des colonies et donc à traiter nos ruches pour éviter ces pertes. Il n’est donc pas surprenant que ces traitements contre les nuisibles et les maladies fassent partie intégrante de l’apiculture !

Eh bien, pas tout à fait et pas partout. Ca n’arrive plus dans mes ruchers ou dans ceux de beaucoup d’autres qui font confiance aux capacités innées des abeilles et qui misent plus sur l’indéniable efficacité de la sélection naturelle que sur des technologies humaines à courte vue. Mieux encore : Il y a maintenant des apiculteurs qui remettent en cause la validité des méthodes employées dans l’apiculture conventionnelle. L’apiculture change, et c’est très bien !

En tant qu’apiculteurs, nous nous devons d’abandonner ces tactiques de la peur devant ceux qui sont intéressés par l’apiculture et au moins leur laisser la possibilité de ne pas contrarier les processus de sélection naturelle, dans la conduite des ruches. Pour moi, ce n’est pas une option.

De mon point de vue, ne pas traiter contre les nuisibles et maladies est la seule façon de maintenir des colonies fortes et saines, pour préserver leur nature inaliénable, auto-suffisante et sauvage. Nous le devons à l’espèce.