A tort ou à raisonPar Serge Labesque © 2012
(Extrait librement traduit par Lalibéla, article original en anglais ici ) La ruche était installée à l’un des meilleurs emplacements du rucher. Une dense haie d’arbustes la protégeait des vents violents d’hiver et les chênes fournissaient l’ombrage à l’intense soleil des après-midis d'été. Sa reine était issue d’une bonne lignée. L'année dernière, malgré les faibles miellés, la colonie a été productive et ce fut un plaisir de travailler avec ses abeilles. Elle entra en hivernage en bon état sans aucun nourrissement ni traitements: Le genre d'abeilles que j’apprécie ! La colonie était donc en lisse pour être une source de jeunes reines au printemps. Elle hiverna magnifiquement bien et à la mi-mars, occupait déjà six hausses malgré les intempéries que nous avons subies, confirmant mes projets d’élevage. Mais la première visite d’avril pris une tournure inattendue: Dès que j’ai ouvert la ruche, des centaines d'abeilles « mal élevées » se sont jetées sur mon voile, mes mains et dans mes manches de chemise. L’enfumoir n’était d ’aucun secours. Surpris par ce comportement anormalement agressif, j'ai dû refermer la ruche et battre en retraite sans avoir sorti un seul cadre. Quelque chose avait changé ! Ce n'étaient plus mes abeilles! Comme les gens, les abeilles peuvent s’énerver parfois, mais là c'était différent et surtout très soudain. La reine féconderait-elle ses œufs avec le sperme d'un mâle portant ce désagréable caractère? Après une année sans problème, cela semblait peu probable. La ruche aurai-t-elle été colonisée par un essaim indésirable ? C'était possible, l’usurpation de ruche arrive parfois. Les ruches qui revenaient récemment de la pollinisation des amandiers et installées sur la parcelle voisine pourraient avoir été la source de ces abeilles. Mais ce n’était qu’une supposition. Déterminé à découvrir ce qui était arrivé à cette ruche, je revins quelques jours plus tard, mais cette fois totalement habillé. Je ne remarquai aucun signe visible de perturbation de la ruche et la météo ne pouvait pas être incriminée pour ce comportement défensif. Et pourtant, avant même que je sois arrivé à coté de la ruche, les abeilles étaient déjà tout autour de moi, se jetant frénétiquement sur le voile, courbé et dard en avant. La ruche n’était pas surpeuplée et je ne voyais aucune raison évidente expliquant un tel comportement. D’une façon ou d'une autre, la composition génétique de la ruche ou son expression avait soudainement changé. La reine devait être remplacée. J'ai donc rapidement isolé les hausses avec des grilles à reine. Le temps de réaliser l’intervention, je fus recouvert d'abeilles bourdonnant bruyamment et s’acharnant sur mes gants et ma combinaison. A la nuit, notre fils Julian m’aida à déplacer la ruche de quelques mètres sur un autre emplacement. Nous avons également réorienté son trou de vol dans la direction opposée. A sa place, nous avons installé une minuscule colonie complétée de deux hausses munies de cadres vides. L'idée était que les butineuses de la colonie excessivement défensive renforcent la petite colonie et que le départ de leur ruche d’origine faciliterait la localisation de la reine indésirable. Quatre jours plus tard, les œufs trouvés dans la hausse supérieure confirmèrent la présence de la reine. Elle était sur le deuxième cadre que je retirai. Immédiatement, une tonne de questions m’arrivèrent en tête. Je ne pouvais tout simplement pas tuer cette reine. Qui étai-je pour décider quelle reine peut vivre et laquelle doit mourir ? Est-ce que je ne pourrais pas simplement déplacer la ruche à un autre endroit, où elle ne mettrait en danger personne ? Je entends déjà vos commentaires:« C'est ridicule ! » C'est juste un insecte, n’est-ce pas ?Supprimer les reines bourdonneuses ou défaillantes peut se justifier aisément: Si ces reines ne sont pas remplacées, la colonie toute entière est condamnée. Mais dans notre cas, la reine était en bonne santé. Le seul problème était que les abeilles qu'elle produisait étaient excessivement défensives, créant une situation dangereuse pour les promeneurs qui emprunteraient le sentier bordant le rucher. C’était donc mon problème, plus celui de la reine. J'ai placé le cadre avec la reine dans un nucléus et, pendant que je retournais le problème dans tous les sens, je vérifiais le reste de la ruche, détruisant au passage le couvain mâle quelle contenait. Je n’avais aucune une explication évidente à ce changement brutal de comportement. J’ai donc constitué une douzaine de nucléi d’élevage avec le contenu de la ruche. J'ai finalement écrasé la reine… Quatre semaines plus tard, les abeilles de cette ruche produisirent une douzaine de jeunes reines à partir du couvain de mes meilleures colonies et la ruchette qui reçut les butineuses se transforma en respectable ruche. Je sais que j'ai fait ce qui était responsable et juste pour nous les humains. Mais la question persiste : agir ainsi est-ce réellement raisonnable? |