The Monthly Extractor vol 34 issue 4

Les étudiants sont des professeurs aussi !

Par Serge Labesque © 2012

(Extrait librement traduit par Lalibéla, article original en anglais ici )


Victor s’est précipité vers moi dès que je suis entrée dans la salle de réunion. Sans aucun préambule, il me dit d’une voix furieuse et tremblante qu’il était « irresponsable de ma part de dire aux nouveaux apiculteurs que nous ne devrions pas traiter nos ruches contre la varroase ! » Victor, personne au langage habituellement posée, était apparemment très contrarié par mes opinions. A mesure que la plupart des autres apiculteurs s’éloignait discrètement de nous, il en vint à expliquer qu’une de ses jeunes apprentis avait participé à ma formation apicole de l’automne dernier et que, contrairement à son avis, ne voulait plus utiliser d’acaricides dans ses ruches. Il ajouta que si les apiculteurs arrêtaient de protéger leurs ruches contre le varroa, nous n’aurions bientôt plus d’abeilles. Après ceci, Victor retrouva son comportement normal, comme si un lourd fardeau avait été retiré de ses épaules. Il me laissa expliquer mon point de vue sur le sujet et devint visiblement intéressé quand je lui dit que je ne perdait plus autant de ruches qu’au temps où je les traitaient contres les acariens. Son apprentie s’approcha de nous et écouta la fin de notre discussion impromptue, bientôt interrompue par l’appel à commencer la réunion.

Au cours des mois suivants, Victor et moi n'avons pas manqué une occasion de se revoir pour parler d’abeilles et d'apiculture. Il me demanda fréquemment comment mes abeilles allaient et avec une véritable curiosité, comment je faisais ceci ou cela dans la conduite de mes colonies. Victor arrêta de venir à nos réunions ces dernières années, son dos et ses jambes vieillissantes l'ont forcé à abandonner l'apiculture. Ainsi, je sais que je ne le reverrai probablement pas, mais je n'oublierai pas qu'il m'a enseigné une leçon qui est bien plus importante que tous les trucs d'apiculture que je lui ai donné: Malgré sa longue expérience d'apiculteur, Victor a maintenu son esprit ouvert aux idées différentes des siennes, même si de prime abord elles pouvaient lui sembler complètement inacceptables. Il lui fallait seulement les comprendre.

Quand nous accompagnons d'autres apiculteurs, comme précepteurs, professeurs ou conseillers, nous pouvons les influencer.
Nous faisons une différence dans la manière dont les abeilles sont conduites. Nous portons une grande responsabilité, que nous devons prendre très au sérieux. Quel que soit l’ardeur de nos convictions au sujet de nos propres méthodes d'apiculture, il est bon de ne pas oublier qu'il pourrait toujours y en avoir de meilleures.
Assurément, enseigner l’apiculture m'a transformé en meilleur apiculteur que je ne l’aurai été tout seul. Les questions de mes étudiants m'ont conduit à regarder sous diverses perspectives des problèmes que je n’aurai probablement pas considérés. Sans le savoir, Ils m'ont prouvé qu'il y a d’innombrables possibilités d'améliorer nos pratiques apicoles. En outre, répondre formellement à ces questions m'a forcé à explorer divers aspects de l'apiculture et face aux objections et aux critiques j’ai cherché à construire ce que je pense être une approche logique de la conduite des abeilles.

Parce que nous manquons d'expérience quand nous recevons nos premières abeilles, nous tendons à avoir des esprits très malléables. A mesure que nous gagnons en savoir-faire, nous développons et suivons des procérures routinières. C'est alors que notre courbe d'apprentissage risque de prendre fin ou de stagner. C'est donc une bonne chose de réexaminer fréquemment nos pratiques sous différents points de vue. En écoutant les autres, nous pouvons toujours en apprendre d'avantage. Nous pouvons alors tester de nouveaux concepts, les évaluer, améliorer nos compétences et partager notre expérience accrue de l'apiculture.

Ainsi, qui enseigne qui? Est-ce les étudiants ou les professeurs, les précepteurs ou les apprentis ? Peu importe tant que les abeilles en bénéficient. À la fin elles sont seules juges, n'est-ce pas ?