Leçons tirées de ruches naturelles

Par Serge Labesque
Avec l'accord gracieux de l’auteur et l'aimable autorisation de la revue l'Abeille de France et du SNA. 

 
Nous devons beaucoup aux insectes pollinisateurs, et aux abeilles en particulier. Sans eux, le monde qui nous entoure serait bien différent de ce qu'il est. On peut même dire sans grand risque de se tromper que, sans eux, nous ne serions pas sur cette terre, ou du moins, nous serions bien différents de ce que nous sommes. Les abeilles sont donc des éléments-clés de notre écosystème. Pour cette raison, nous avons tous la responsabilité d'assurer la pérennité de l'espèce. Pour les apiculteurs, ceci veut dire pratiquer une apiculture saine qui doit être basée sur la connaissance et le respect de la biologie des abeilles. Or, pour connaître les abeilles, nous devons les observer et accepter que l'abeille, bien que dite « domestique », n'est cependant pas une espèce domestiquée. Nous devons impérativement respecter sa nature sauvage.

 
Un nid pour des abeilles
A l'examen de nids naturels d'abeilles, on remarque que celles-ci s'accommodent de cavités très différentes. Il n'est donc pas surprenant que nous ayons pu concevoir et utiliser avec quelque succès une grande variété de ruches qui s'étale du simple panier jusqu'aux ruches technologiquement sophistiquées. Quand un essaim crée son nid dans une cavité, la colonie contrôle avec précision son environnement immédiat. Rien n'y est laissé au hasard. Ce nid qui, à première vue, peut nous sembler être un chaos absolu est en fait organisé avec ordre et méthode. On observe généralement dans la partie centrale d'une ruche naturelle le nid à couvain. Autour du nid à couvain, et surtout au-dessus de celui-ci, on remarque les réserves de nourriture, pain d'abeille et miel. Au-dessus des réserves et en-dessous du nid à couvain, il y a des rayons dont les cellules sont vides pendant la plus grande partie de l'année. Ces zones-là sont des zones d'expansion que nous négligeons trop souvent dans la gestion de nos ruches. La cavité, fréquemment le creux d'un arbre, comprend également une partie supérieure et une partie inférieure dont les fonctions sont essentielles pour le bienêtre et la santé de la colonie qui l'occupe. Si les côtés de la cavité sont bien enduits de propolis par les abeilles, le haut et surtout le fond ne le sont généralement pas. Dans ces parties extrêmes, on trouve du bois qui est pourri, raison pour laquelle la cavité existe et s'allonge. Au sommet de la cavité, le bois fonctionne comme une pompe qui absorbe les excédents d'humidité. Le fond de la cavité n'est qu'exceptionnellement visité par les abeilles. On peut y voir les déchets produits par la colonie. Ils se décomposent là, et sont éliminés en grande partie par de nombreux organismes. Leur niveau ne semble pas s'élever car, le bois de l'arbre se dégradant, le fond de la cavité s'abaisse petit à petit. On note une séparation importante entre le bas des rayons et ces déchets. En certaines périodes, de l'eau s'écoule le long des parois de la cavité jusqu'à sa partie la plus basse, ce qui aide à la décomposition des déchets et du bois.


 
La dynamique des ruches.
Nos ruches ne sont très souvent que de piètres alternatives aux arbres creux car nous ne retenons de leurs contenus que les parties qui nous intéressent, soient la grappe et le couvain que nous voulons de préférence femelle, et les réserves de miel. Nous installons souvent des grilles à reines entre le couvain et les réserves pour restreindre l'accès de la reine à la partie de la ruche que nous avons décidé qui sera la chambre à couvain. Or, ces contenus de la ruche sont mobiles. Il n'y a normalement pas de mélange mais plutôt juxtaposition du couvain et des réserves. D'un coté de la zone limitrophe entre la grappe et les réserves, on trouve le miel et le nectar que les abeilles peuvent déplacer, et le pain d'abeille qui peut être soit consommé, soit laissé en place. De l'autre coté, on trouve le couvain et la grappe. Cette zone de contact réserves-grappe est l'endroit où les mouvements de ces deux masses sur les rayons se décident. Une cellule de cette région des rayons devient disponible parce qu'une abeille en a émergé, ou parce que ses contenus ont été consommés ou déplacés. Elle est alors nettoyée et peut être à nouveau occupée. Si la reine y pond un oeuf avant qu'une abeille y dépose du nectar ou du pollen, le nid à couvain progresse dans la direction des réserves. Dans le cas contraire, ce sont bien évidemment les réserves qui « gagnent du rayon » sur le couvain. Ce simple phénomène est à l'origine de la dynamique de la ruche ". Cependant, il est important que la grappe ou le nid à couvain reste en contact avec les réserves de nourriture pour assurer le bon développement de la colonie, pour le maintien de sa santé, ou pour éviter la mort de la colonie par la famine. Les zones d'expansion supérieure et inférieure permettent aux réserves et au couvain d'augmenter de volume et de s'étendre vers le haut ou vers le bas de la colonie. Quand les zones d'expansion sont occupées et viennent à manquer, il y a congestion du nid à couvain. La colonie est alors amenée à essaimer, ou, pour le moins, est handicapée dans son développement.


Nous pouvons améliorer nos ruches
On voit donc que le volume utilisable de la ruche et l'organisation de ses contenus sont très importants pour les abeilles. En conséquence, il est avantageux d'installer nos abeilles dans des ruches bien conçues, et de gérer l'espace qui leur est fourni en respectant leurs besoins. Vu que les abeilles souffrent dans les cavités humides, une ruche doit assurer l'élimination des excédents d'humidité. Il ne faut pas oublier que le métabolisme est une source d'importantes quantités d'eau, ce que l'on peut observer dans les ruches sous certaines conditions. L’organisation des contenus de la ruche et la présence d'espace suffisant pour la ponte, le stockage de nectar et de pollen ainsi que pour la formation de la grappe sont parmi les caractéristiques principales d'une bonne ruche qui est bien gérée.
Il n'y a pas de ruche parfaite. Nous devons reconnaître les défauts de l'équipement apicole que l'on utilise et nous efforcer de corriger ou compenser ses déficiences. A titre indicatif, ce qui suit décrit la configuration des ruches que j'utilise. Ce sont essentiellement des ruches verticales, des Langstroth que j'ai quelque peu modifiées. Tous les compartiments d'une de mes ruches, corps et hausses, ont la même taille afin de permettre l'échange des cadres d'un niveau à un autre. On y trouve des ouvertures de ventilation grillagées dans les plafonds et des fonds grillagés équipés de tiroirs. Les hausses et corps de ruches contiennent tous une paire de planches de partition qui sont essentielles pour assainir l'intérieur de la ruche. On peut aussi noter que l'utilisation de planches de partition facilite la manipulation des cadres et apporte une flexibilité immense dans la gestion des ruches.



Voici comment fonctionne une ruche équipée de planches de partition :
En période froide, l'air chaud et humide s'élève de la grappe tandis que l'air relativement froid et dense s'écoule entre les parois de la ruche et les planches de partition. Il s'ensuit une convection de l'air intérieur de la ruche. La vapeur d'eau produite par les abeilles est ainsi en partie évacuée par l'ouverture de ventilation et en partie entraînée dans l'espace ménagé entre les planches et les côtés de la ruche sur lesquels elle peut se condenser. Au-dessus des hausses, un nourrisseur couvre-cadre recueille l'eau de condensation qui aurait pu s'égoutter sur les abeilles. De ceci, il résulte une atmosphère moins humide dans la ruche, et une meilleure conservation et qualité des réserves de pollen et de miel. Il en résulte une meilleure santé des colonies en hiver et au printemps, un meilleur développement des colonies au printemps et finalement une mortalité réduite.
En période chaude,
l'air surchauffé au contact des parois de la ruche s'élève entre les planches de partition et les parois de la ruche. Il est évacué par l'ouverture grillagée du plafond. Ceci facilite le contrôle de l'environnement du couvain par les abeilles et diminue leurs dépenses énergétiques. Une meilleure santé de la colonie découle de cette réduction des facteurs stressants, probablement parce que les abeilles peuvent maintenir une bonne hygiène du nid plutôt que de devoir se consacrer uniquement à abaisser la température de la ruche. Une meilleure utilisation des cadres de rive peut aussi être observée ainsi qu'une augmentation de la productivité de la ruche. Le fond de ruche grillagé permet aux déchets produits dans la ruche de passer au travers d'un grillage. Ils sont donc éliminés ou peuvent être récupérés sur un tiroir ou plateau amovible. Ainsi, la séparation naturelle des rayons et des déchets de la ruche est maintenue. Les abeilles ne sont pas contraintes à marcher dans leurs « ordures ", ce qui aide à maintenir des conditions salubres dans la ruche. A noter que les plateaux placés sous les fonds grillagés sont des outils très utiles qui permettent d'obtenir énormément de renseignements importants sur les colonies sans ouvrir les ruches. Permettre aux abeilles de construire leurs rayons naturellement, sans leur fournir de cire gaufrée, présente plusieurs avantages. Les rayons sont construits selon les besoins de la colonie, et, puisque l'on n'introduit pas de cire dans la ruche, ils ne sont pas contaminés par des résidus d'acaricides ou autres produits qui, nous le savons, peuvent affecter le couvain ou les abeilles adultes. L’apiculteur peut aussi réduire ses coûts car il n'a ni à acheter de cire, ni bien évidemment à l'installer dans les cadres, ce qui épargne du temps. Les coûts en miel nécessaire pour la production de la cire sont bien compensés, et la santé des abeilles est améliorée. On voit donc qu'avec quelques modifications simples, une ruche peut pourvoir les fonctions bénéfiques d'une cavité naturelle et faciliter le suivi de la colonie par l'apiculteur.



De la mobilité des contenus de la ruche

Au cours des saisons, les masses du nid à couvain et des réserves de nourriture d'une colonie évoluent sur les rayons. Leurs volumes changent ainsi que leurs positions dans la cavité. Comprendre ceci est à la base de toute méthode de gestion des volumes des différentes parties de la ruche, et donc à la base du travail des ruches proprement dit. Pour pouvoir anticiper certains de ces changements de volume du nid à couvain, on peut noter le rapport couvain ouvert/couvain operculé parce qu'il est un indice important de la vigueur d'une colonie et de son avenir à l'échéance de quelques semaines ou même plus.
Les masses de nid à couvain et des réserves de nourriture d'une colonie sont influencées par un grand nombre de facteurs dont les principaux sont la ponte, la population de la ruche, l'état de santé et nutritionnel des abeilles, ainsi que leur environnement. Ce dernier est imposé aux abeilles par l'apiculteur. Il comprend d'une part la ruche, la cavité qui leur est fournie, la manière selon laquelle celle-ci est manipulée et gérée et d'autre part l'emplacement du rucher et ses environs. Les manipulations de ruches modifient leurs contenus et organisation, ceci trop souvent sans respect des besoins des colonies, avec des conséquences qui, à l'occasion, peuvent s'avérer dramatiques pour les abeilles. C'est le cas, entre autres, de l'utilisation des grilles à reines, des inversions des corps de ruche, des manipulations inconsidérées de cadres, de certains nourrissements, et des poses et retraits des hausses qui ne tiennent pas compte des besoins des abeilles, Il nous est cependant possible d'aider nos colonies au lieu de les handicaper. Par exemple, dans le cas des poses de hausses, la pratique de l'amorçage permet de maintenir la continuité des rayons marqués par la colonie entre le couvain et les réserves. Ainsi, les abeilles travaillent-elles sans délai dans les nouvelles hausses, ce qui se traduit par un développement accéléré de la colonie et une augmentation de sa productivité. Il est évident que, pour pouvoir bénéficier au mieux de ces avantages, les cadres utilisés doivent être de la même dimension du bas en haut de la ruche.

Un autre exemple est l'inversion des corps de ruche, une pratique qui est trop fréquemment préconisée. Celle-ci vise à décongestionner la chambre à couvain quand le nid est établi dans sa partie supérieure, le but étant de se prévenir contre l'essaimage. Exécutée sans discernement, cette pratique peut diviser le nid à couvain et éliminer la zone d'expansion inférieure qui est si importante pour le regroupement des butineuses. Ceci peut se traduire par un affaiblissement de la colonie et par une perte de production. L’ajout d'une hausse avec amorçage est une solution bien meilleure car ces problèmes sont évités et les besoins des abeilles sont respectés, y compris la présence de l'espace nécessaire pour l'accumulation de pollen en-dessous du couvain pendant l'été, en vue de la préparation à l'élevage des abeilles d'hiver. Au besoin, quand cet espace d'expansion vers le bas manque, une hausse peut être placée en dessous de la chambre à couvain. Le développement de la colonie s'en trouve stimulé et sa santé en est souvent améliorée. Ses risques de péricliter pendant l'hiver sont réduits, ainsi que ceux de l'essaimage, qui peut être retardé ou même évité. Tous ces avantages peuvent se traduire par une production accrue. Si un nourrissement est appliqué, on doit s'assurer qu'il y ait dans la ruche suffisamment d'espace soit pour l'emmagasinement, soit pour la ponte dans le cas d'un nourrissement de stimulation.

La grille à reine impose une limite stricte à l'expansion du couvain en le restreignant à une partie bien précise de la ruche. L’engorgement du nid à couvain peut s'ensuivre, ce qui peut conduire à un essaimage prématuré ou à un développement de la colonie en deçà de son potentiel avec, ici aussi, réduction collatérale de la production. Une gestion saine de l'espace intérieur de la ruche, en maintenant continuité entre couvain et réserves peut éliminer tout intérêt qu'il pourrait y avoir à utiliser cet outil. Il faut toutefois accepter qu'une partie du miel doive rester dans la ruche pour les abeilles.



Des colonies fortes

Développer des colonies fortes n'est possible que lorsque les abeilles sont pourvues en espace suffisant pour qu'elles puissent élever de grandes quantités de couvain et emmagasiner tout ce que rapportent les butineuses. Avoir de bonnes reines, corriger tôt leurs défaillances éventuelles, et propager les colonies qui sont naturellement fortes sont des actions nécessaires au maintien de ruchers sains et productifs.

La santé et la force durables des colonies d'abeilles requièrent le respect de certains aspects de leur biologie. Sur ce point, les périodes pendant lesquelles les ruches se trouvent sans couvain sont de grande valeur car elles interrompent la reproduction des varroas et permettent aux abeilles de bien nettoyer leurs nids. Les colonies qui pratiquent l'épouillage bénéficient tout particulièrement de ces occasions qui se produisent principalement au creux de l'hiver et en période de production naturelle des reines. En revanche, le remérage des essaims avec des reines fécondées, ou la stimulation hivernale des colonies pour satisfaire aux exigences de contrats de pollinisation hâtive vont à l'encontre de ce principe. Il vaut donc mieux permettre aux divisions de colonies d'élever leurs reines plutôt que de leur en apporter, et ne pas écourter ou éliminer le repos d'hiver.

En période de préparation à l'essaimage, les conditions sont au mieux pour l'élevage des reines, car on trouve alors dans les ruches un rapport couvain ouvert-couvain operculé faible. Le nombre élevé d'abeilles nourricières, et leur excellent état nutritionnel sont gages de qualité pour les reines élevées dans ces circonstances. Pour les maintenir vigoureuses et en bonne santé, il est essentiel d'assurer à nos colonies une nutrition riche et diversifiée. Aussi doit-on assurer la contiguïté des réserves et du couvain.
 
La préparation des ruches pour l'hiver est probablement l'un des deux pôles critiques dans le cycle biologique des colonies d'abeilles, le deuxième étant la période de reproduction au printemps. C'est sans aucun doute pendant cette période plus qu'à aucune autre qu'il importe de respecter l'organisation naturelle des réserves et de permettre les mouvements du nid et des réserves. On s'aperçoit qu'une colonie dans une ruche relativement étroite et haute est alors au mieux pour utiliser ses stocks de pollen et de miel. Ceci lui permettra de produire une nouvelle génération qui la conduira vers les miellées du printemps et la période de reproduction. Si les colonies fortes résultent d'un concours de facteurs favorables, l'échec d'une colonie peut être dû à un simple accident ou à un facteur néfaste unique.



De la santé des colonies

La survie ainsi que l'état de santé et de force parfois remarquable des colonies sauvages peuvent nous étonner, vu qu'elles ne sont pas protégées par nos traitements contre les maladies et les parasites. En fait, c'est simplement parce qu'elles sont constamment soumises au processus de sélection naturelle comme elles l'ont été depuis plus de cinquante millions d'années qu'elles sont vigoureuses. Ici, la leçon est claire, et c'est à nous de l'accepter avec humilité : si nous voulons des colonies fortes et durables, nous ne devons pas nous substituer au processus de sélection naturelle. Ceci signifie que nous ne devons pas traiter nos ruches contre les maladies et les parasites des abeilles. On peut affirmer que les apiculteurs qui appliquent des traitements, quelle qu'en soit leur nature, dans leurs ruches contribuent à l’affaiblissement de l'espèce. En effet, ceux-ci maintiennent en vie par des moyens artificiels des colonies déficientes qui seraient normalement éliminées. Ces colonies peuvent donc, en dépit de leur inadaptation face aux facteurs pathogènes, disséminer leurs gènes défectueux. En conséquence, la population environnante des abeilles s'en trouve affaiblie. Vu que la grande majorité des apiculteurs traitent leurs ruches, l'impact de ces interventions est dramatique pour l'espèce entière. Il faut comprendre que ce qui compte n'est pas le choix d'un traitement ou d'un autre, mais le fait que l'on traite nos abeilles ou non. Il nous faut accepter de voir disparaître des colonies qui n'ont pas de résistance, et multiplier celles qui démontrent en avoir. Ceci demande de la part des apiculteurs un profond changement d'attitude, car il faut comprendre qu'il n'y a pas de produit miracle, qu'il soit chimique ou biologique, et qu'il n'y a pas de race d'abeille qui soit parfaite. Il faut aussi accepter la présence d'éléments pathogènes dans nos ruches plutôt que de chercher à les éliminer. On peut même l'y souhaiter car cela aide à la sélection naturelle des colonies qui sont résistantes. Les avantages de cette approche sont de grande valeur pour les apiculteurs. Les colonies qui sont sans résistance ou tolérance innée aux parasites et maladies deviennent évidentes.
Ceci permet une propagation sans erreur des bonnes lignées, la vigueur des ruchers s'en trouvant rapidement augmentée. C'est une apiculture durable qui résulte de cette approche qui contribue à assurer l'autosuffisance des apiculteurs et de leurs colonies. Les abeilles ont en effet de nombreux mécanismes pour se maintenir en bonne santé. Nous devons ne pas les négliger. Le plaisir que l'on retire du travail des ruches pratiqué dans de telles conditions est immense. De plus, il ne faut pas oublier de noter que les produits de la ruche ainsi obtenus sont aussi purs que possible. Leur réputation dépend de cette pureté. Oui voudrait mettre des produits organophosphorés ou d'autres substances de ce genre dans son garde-manger? Personne, bien évidemment. Alors pourquoi donc le faire dans nos ruches?



Sélection et propagation des colonies - Diversité génétique de l'espèce

La sélection naturelle est à l'œuvre dans les ruches non seulement par le biais des organismes pathogènes, mais aussi à travers tous les autres facteurs environnementaux. Pour leur survie et leur succès, les colonies sauvages ne dépendent que de leurs qualités propres, de leur adaptation aux conditions auxquelles elles sont exposées. C'est ce qui nous a apporté les différentes races d'abeilles et leurs nombreuses variations locales qui sont si bien acclimatées à leurs régions d'origine.

L’adaptation des abeilles aux conditions locales est leur meilleur atout face à l'adversité. Il nous faut préserver cette qualité intrinsèque des populations locales dans la mesure où on le peut encore. Malheureusement, le commerce des reines et des abeilles tel qu'il est présentement pratiqué efface rapidement les différences créées entre ces populations par des millions d'années d'évolution. Bien sûr le processus d'évolution et la sélection naturelle sont inlassablement à l'œuvre dans nos ruches, même et y compris par notre biais. Mais nos méthodes sont maintenant trop rapides, agressives même, et excessivement déstabilisantes pour l'abeille. La diversité génétique d'une espèce est un garant de sa survie. Le maintien de la diversité génétique de l'espèce qui nous intéresse ici, Apis mellifera, l'abeille «domestique», exige le respect de l'identité de chacune de ses populations locales. Afin de lui préserver cette caractéristique vitale, nous devons donc protéger les populations d'abeilles locales de la pollution génétique. Pour cela, il n'y a qu'un seul moyen : propager nos colonies. Plus que la production de miel ou les contrats de pollinisation, ceci est l'essence même de l'apiculture. Un propriétaire de ruches qui ne propage pas ses colonies peut bien être un exploitant apicole, un « utilisateur " d'abeilles, mais il n'est certainement pas un apiculteur au sens propre du terme.
 
Cette qualité primordiale qu'est l'adaptation aux conditions locales, aucun producteur de reines ou d'abeilles ne peut nous la garantir, hormis quand les souches utilisées sont d'origine locale et distribuées localement. Le commerce des reines et des abeilles et les déplacements de matériels génétiques vont à l'encontre de ce principe, car l'introduction de génotypes étrangers déstabilise irrémédiablement les populations et diminue leur degré d'adaptation aux conditions locales.
 
Si le maintien de la diversité génétique de l'espèce passe immanquablement par la préservation de l'identité des populations locales, ceci doit se faire sans affaiblir nos ruches par des méthodes qui conduisent à la consanguinité.
 
 
 
 

Principe fondamental pour une apiculture saine

 
De tout ceci émerge un principe de base qui peut nous guider dans nos travaux aux ruchers : l'espèce des abeilles dites « domestiques », Apis mellifera, prise dans son ensemble a priorité sur nos propres colonies. Les apiculteurs doivent donc être les « bergers "de l'espèce toute entière, et non pas seulement de leurs propres ruches. Car, c'est en voulant protéger nos ruches que l'on affaiblit l'espèce. Il découle de ceci que nous devons :  
  1. ne pas traiter nos ruches contre les maladies et leurs parasites et,
  2. utiliser et propager seulement des abeilles locales.
 
Il est donc nécessaire de propager nos ruches de manière non-sélective, en permettant à toutes les colonies qui en atteignent la force de disséminer leurs gènes de se reproduire, et en assurant une fécondation des reines qui ne soit pas contrôlée.
 
Ceci est à la portée de tous les apiculteurs, qu'ils possèdent une seule ruche, ou qu'ils en aient des milliers. Les méthodes d'élevage sont simples et bien connues, allant de la division de ruches à l'élevage de reines proprement dit. Sont à éviter : l'insémination artificielle des reines et leur fécondation en milieu isolé avec sources de mâles en nombres limités. En pratiquant ainsi, les apiculteurs renforcent de manière durable leurs lignées et peuvent obtenir des colonies fortes qui sont bien adaptées à leurs conditions locales. Ceci est à la fondation-même de la santé durable de l'espèce. Faire autrement ne peut que l'affaiblir.
 

Pour une refonte de l'apiculture

En cette époque critique pour les insectes pollinisateurs, une époque où l'on voit les colonies d'abeilles périr en grands nombre, les apiculteurs doivent se rendre compte qu'ils sont en partie responsables de cette hécatombe. Bien sûr, les professionnels de l'apiculture sont particulièrement réticents à adopter des changements tels que ceux qui sont décrits dans ces lignes. Mais rien, pas même le fait de dépendre des abeilles pour notre revenu financier, ne peut justifier d'affaiblir une espèce, et surtout pas une ressource naturelle aussi vitalement importante pour notre écosystème que celle des abeilles «domestiques ". Si les apiculteurs doivent perdurer, ils doivent en priorité trouver et employer des méthodes qui assurent un avenir sain pour les abeilles. Ceci n'est pas un retour vers le passé. C'est un legs pour les générations futures. C'est leur transmettre un environnement meilleur que celui que nous avons reçu et qui, si nous ne changeons pas rapidement nos méthodes apicoles, est en voie de s'effondrer. Nous devons donc sauver les abeilles. Il n'y a rien de plus important que ceci! Si les apiculteurs ne le font pas, qui le fera ?

                                                                                                    Serge Labesque © 2010