2a tappa / 2ème étape

Cahier de route écrit par PascaleSamedi 9 janvier 2010.

Nous sommes arrivés la veille à la « maison des pèlerins », à Rome. C'est Lucia qui nous accueille. Maria, de Genova et Desiré, de Giulianova sont arrivées, accompagnées par des amis rencontrés grâce à leur site de pèlerins :http://www.pellegrinipersempre.it. Une fois ceux-ci partis, nous faisons connaissance autour du dîner préparé par Lucia.

Maria souriante et énergique a pas mal marché sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, en Espagne, en Italie, en France. Elle est un membre actif de la confraternité de saint Jacques.

Desiré, est elle aussi une habituée de la route. Elle a tissées de nombreuses amitiés grâce à « pellegrinipersempre », et a plaisir à retrouver Maria. Puisqu'elle est en recherche d'emploi, elle trouve idéal le lâcher-prise que procure une longue marche, pour se désangoisser, et rebondir.

Emmanuel leur explique notre façon de fonctionner : pas trop précis, pas trop pressé, ouvert à ce qui peut advenir...

10 janvier 2010 - 16° jour

Roma - La Storta - 16 km

Le dimanche matin, nous nous rendons à la chapelle de la communauté religieuse qui abrite la « maison des pèlerins ». Nous prions laudes avec elles, c'est le cantiques de Daniel : « Et vous, le froid, bénissez le Seigneur, et vous la pluie bénissez le Seigneur ». Depuis des semaines l'Italie est sous la pluie, et en France il fait – 7...Puissions-nous pour le moins supporter ces météos hivernales, et peut être arriver à en bénir le Seigneur! Lors de la messe qui suit, le prêtre béni solennellement notre deuxième étape, les sœurs nous souhaitent bonne chance, et nous voilà partis, parapluies déployés, vers le château Saint Ange, lieu du départ officiel.

Le Tibre est sorti de son lit, et l'eau argentée et bouillonnante coule entre les platanes de la berge. Nous le franchissons en empruntant le ponte Sant'Angelo, en face du château Saint Ange. Ce pont est magnifique ; une douzaine d'anges majestueux, en marbre, portent glorieusement et avec respect les instruments de la crucifixion. Ils forment une haie d'honneur qui mène au château Saint Ange, en haut duquel la statue de Saint Michel domine tout Rome.

Nous retrouvons avec joie Domenico et Maria Gracia, et plions nos parapluies ; le ciel s'éclaircit, et déjà un rayon de soleil illumine la coupole de Saint Pierre. Je découvre avec plaisir la crèche et l'immense sapin de Noël installés au milieu de la place Saint Pierre. Nous quittons Domenico et Maria Gracia après notre première pause cappuccino, et nous nous élevons graduellement, au fil des rues romaines. Arrivés à un jardin, nous admirons la capitale qui se déploie sous nos yeux, et retrouvons, déjà lointaine, la statue de Saint Michel.

Desiré me propose de me parler en français et je lui réponds en italien...C'est difficile, mais son écoute patiente et tolérante par rapport à cette langue que j'écorche horriblement, me donne confiance et me permet de faire mieux connaissance avec elle. La sortie de la ville n'est pas trop pénible, petit à petit la campagne est de plus en plus présente. Il y a de belles allées de pins parasol, des champs bien verts, les bords de la route passent du goudron aux plantes sauvages.

Nous sommes sur la via Francigena, l'ancienne route qui va de la France à Rome.

Emmanuel a une amie, Monica d'Atti, qui se passionne pour ces routes mémorables. Elle déploie toute son énergie à les remettre en valeurs. C'est un travail difficile car parfois les routes n'existent plus, ou sont transformées en autoroutes; il faut trouver un itinéraire parallèle pour que, à pied, on puisse avancer sans trop de danger, ni de détours. Il faut baliser le chemin, proposer un recueil de cartes, d'adresses où dormir... Le guide de Monica d'Atti: "Guida alla via Francigena", ainsi que les balises, nous permettent d'avancer sans soucis. Depuis qu'il existe, le nombre de randonneurs, (sportifs, pèlerins, amateurs d'histoire) ne cesse de croître. Bravo, Monica, et Merci! Puisque nous sommes en hiver, il n'y a que nous sur la route.

Nous arrivons le soir à La Storta, et frappons chez les « suore delle Poverelle », qui nous accueillent avec un grand sourire. Un angelot décore le lieu prévu pour les pèlerins, j'y vois un clin d'œil de Saint Michel, signe de sa présence encourageante à nos côtés.

À La Storta, il y a la petite chapelle où saint Ignace de Loyola a compris, lors d'une vision, qu'il devait s'installer à Rome. Nous avions remarqué qu'Ignace nous faisait signe, de façon récurrente, lors de la première étape, et là encore, il est discrètement présent. D'une certaine façon cette route unit ciel et terre. C'est une des merveilleuses découverte du pèlerin attentif!

11 janvier 2010 - 17° jour

La Storta - Campagnano di Roma - 22 km

Le matin, nous nous retrouvons avec toutes les sœurs dans leur petite chapelle pour célébrer la messe. Elles sont ravies de nous accueillir, car le prêtre qui les accompagne est absent. Emmanuel le remplace. Puis la supérieure lors du petit déjeuner, nous parle de sa congrégation. C'est une femme d'une grande sagesse, et cette conversation est très intéressante.

Nous partons. Le ciel aux nuages gorgés de pluie, nous inquiète un peu, mais il ne pleut pas. Nous traversons des quartiers résidentiels, preuve que la capitale est toute proche. Au fur et à mesure de la marche, nous voyons des fermes, de grands champs, de petites routes calmes.

Sur le chemin, de gros chiens viennent nous saluer, et marchent à nos côtés un petit moment. Plus loin, on se trouve nez à nez avec un cheval un peu perdu et effrayé de nous voir.

La pluie commence à tomber drue et glacée. Nous cherchons un bar, pour déjeuner et se réchauffer. Nous arrivons au « blu extrême », à Formella. Dans le bar décoré de tee shirts aux blagues salaces, la musique rock coule à flot ; le pèlerin s'adapte à toutes les situations.

Une fois réchauffés, reposés, et nourris, nous repartons. La pluie a cessé.

Sur le bord de la route, je ramasse une planche en bois où est écrit « d'Angelo ». Je l'accroche à mon sac à dos. C'est comme une carte de visite : nous sommes sommes de l'Angelo.

Nous passons dans une vallée encaissée, bordée de parois rocheuses. La brume s'effiloche à la cime des pins, on dirait une estampe chinoise.

Au milieu de cette vallée, sur une colline escarpée, s'élève un très ancien sanctuaire abritant une icône médiévale « la Madona del sorbo », fermé pour cause de travaux. À côté des barrières, il y a un calvaire, tapissé d'objets religieux en tous genre : chapelets, lumignons, croix, images, statuettes de Marie, du padre Pio, photos, prières, fleurs, angelots en plastique...Il y a même une petite boîte à musique qui fonctionne. « I wish you a merry christmast ». La poésie qui se dégage de lieu très kitch nous touche. Elle traduit un réel attachement à une divinité, d'inspiration chrétienne.

Après temps de prière nous descendons vers la rivière qui serpente dans la forêt.

À la sortie des arbres, un grand chien jaune, maculé de boue, déboule dans nos jambes, il se couche à nos pieds, réclame caresses, jeux, et nous emboîte le pas. Desiré qui craint les chiens marche bravement un peu en arrière, avec Maria. Je commence à trouver qu'il est temps qu'il retourne chez lui, car ça fait un bon moment qu'il nous accompagne. Alors qu'on s'approche d'une maison construite sur un talus, il se plaque à mes côtés. Arrivés sous la maison, une meute de gros chiens se met à aboyer en fixant rageusement notre chien jaune, les gueules écumantes dépassant de la barrière du jardin. Je passe sans traîner, et attend Maria et Derisé. Trois gros chiens furieux, le poil dressé, les mâchoires prêtes à mordre déboulent sur la route. Notre chien part à leur rencontre, leur parle : gémit, aboie doucement, les empêche d'avancer, ainsi Maria et Derisé passent sans danger au delà de cette maison critique. On n'a pas revu notre chien protecteur, mais on l'a baptisé « Michel » !

Le soir, nous arrivons à Campagnano. C'est une ville construite sur un promontoire rocheux entouré de gorges profondes. Pour entrer dans la vieille ville, nous passons sous une porte fortifiée. De hautes maisons en pierre bordent la rue commerçante qui débouche sur une large place, bordée de palais. À son centre coule une fontaine. La partie renaissance se termine là, nous entrons dans la ville médiévale, avec ses palais, son église, ses escaliers, ses puits, remparts etc...Pour moi qui habite dans une « ville nouvelle », construite depuis moins de trente ans, c'est très dépaysant.

Nous retrouvons Simone et Antonella au centre paroissial. Ils étaient venus saluer Maria et Desiré à Rome. Antonella est chargée de nourriture et de vin, et on discute joyeusement en attendant le curé de la paroisse, Don Renzo. Celui-ci nous accueille simplement, avec beaucoup de gentillesse. Il nous explique que l'accueil des pèlerins fait désormais partie de la mission de sa paroisse. Ils sont plus de 2000 par an à solliciter un abri. Il nous montre une boîte en fer : c'est la cagnotte du pèlerin. On donne ce qu'on veut : beaucoup si on est riche, moins si on ne l'est pas, et si on est pauvre, on peut se servir, la boîte n'est pas fermée. Depuis que la paroisse a adopté ce système pour l'accueil des pèlerins, elle a toujours équilibré ses comptes.

Il nous parle de sa paroisse qu'il accompagne depuis plus de 25 ans. Campagnano, après avoir été une ville désertifiée par l'exode rural, s'est repeuplée. Avec le train, Rome est voisine. Parmi les nouveaux arrivants, il y a plus d'une cinquantaine de nationalités. En tête les Roumains (800), et les Polonais (200). Le curé nous parle avec enthousiasme de la façon dont ces gens se sont intégrés, comment ils sont acceptés par la population, et quelle part dynamique ils prennent dans la paroisse.

Nous nous installons dans une grande salle, au chauffage déficient. On dîne joyeusement avec Antonella, et joue au baby foot pour se réchauffer un peu. Puis, après le départ d'Antonella, on décide de s'installer dans une salle de caté, il y fait 13 degrés, nettement plus chaud qu'en haut.

12 janvier 2010 - 18° jour

Campagnano di Roma - Sutri - 20 km

Nous nous dirigeons, avant le lever du jour dans la vieille ville, où Emmanuel va dire la messe, à la maison de retraite « San Giuseppe ». Après la messe, nous prenons des photos avec les personnes âgées et les sœurs. Celle-ci partagent avec nous leur petit déjeuner, ce qui nous permet de faire leur connaissance, et d'entendre parler de leur ordre « les povere figle della Visitatione di Maria ».

Puis nous reprenons notre route. Nous marchons dans la brume. J'aime bien la brume, elle enveloppe le paysage, transforme son apparence, le rend cotonneux, intime, un peu mystérieux. Sur le chemin, je trouve une cigarette, comme tombée du ciel, même si je ne fume pas sur la route de l'Ange, ça ne se refuse pas! Pendant plusieurs heures, nous marchons au bord de la via Cassia, grosse route à 4 voies. Heureusement que la bande d'arrêt d'urgence nous permet de nous mettre à distance des voitures. Nous arrivons à Monterosi, pour la pause Cappuccino. Dans la boulangerie, il y a une crèche entièrement en chocolat. La patronne, quand elle comprend que nous sommes pèlerins, nous donne un gros cahier à signer. C'est son livre d'or, bourré de toutes sortes de signatures de pèlerins en route pour Rome. Nous on marche à rebrousse poil, ce qui ne manque pas d'étonner. Ça nous permet de présenter la « route de l'Ange ». Cette fois-ci Emmanuel est bien organisé, il a des cartes de visites avec les coordonnées du site.

La nature, après Monterosi est très belle sous le soleil. La route en terre est douce sous les pieds. Elle borde des champs plantés de noisetiers soigneusement alignés, des pâtures où les troupeaux de moutons sont plein de petits agneaux nouvellement nés. Au loin on admire des montagnes enneigées.

Nous piqueniquons dehors au soleil. Qui l'eut crut? On en profite pour envoyer des photos par mail à Antonella, pour qu'elle les mette sur le site « pellegrinipersempre », histoire de faire un clin d'œil à la bande d'amis de Maria et Desiré. Notre époque a du bon!

Le soir nous nous approchons de Sutri. La route bordées de vieux pins longe une nécropole étrusque creusée dans la roche, et passe devant un magnifique amphithéâtre romain taillé dans le tuffeau. Sutri, comme Campagnano, est bâtit sur un promontoire rocheux dominant une profonde vallée. Nous passons sous la porte fortifiée, et allons dans l'église. Là, saint Norbert, le fondateur des Prémontrés, a compris quelque chose qui a changé sa vie. (Je ne sais plus quoi). Le sol de l'église est magnifique, un patchwork de pierres multicolores. Les derniers rayons de soleil caressent les angelots dorés qui ornent les chapelles baroques. Ici, pour la saint Antoine (dimanche), les habitants préparent une grosse fête, avec bénédiction des animaux etc ...Nous serons déjà loin! Dommage!

On frappe chez les sœurs carmélites. C'est une sœur d'Afrique qui nous ouvre. Elle nous donne la clé de notre chambre, « c'est 20 € par personne», et ferme la grille. Accueil minimal! La chambre est à peine chauffée, il doit faire 10 degrés, dehors il gèle. On se promène un peu. La ville est très belle! Ici aussi, au centre de la grande place il y a une fontaine. Il fait tellement froid que l'eau fume.

Nous allons à la chapelle du Carmel, pour prier les vêpres avec les sœurs. L'une d'elle nous fait signe d'approcher et nous confie, souriante, un livret pour suivre l'office. On ne les voit pas, elles sont de l'autre côté d'une grande grille. On entend leurs voix, jeunes. Dans la chapelle il y a une immense croix, une statue de Thérèse de Lisieux plus grande que nature et des espèces de balcons grillagés.

Après la prière, ne pouvant pas se réchauffer dans la chambre, nous cherchons un endroit pour dîner. On trouve enfin un restaurant ouvert, avec un bon feu de cheminée. C'est assez chic, et nous sommes les bons premiers. L'hôtelier nous accueille fraîchement, mais notre conversation autour d'une bonne soupe chaude nous réconforte malgré tout.

13 janvier 2010 - 19° jour

Sutri - Viterbo - 28 km

En sortant de Sutri nous remarquons dans un square, une statue de Saint Michel patron des gendarmes ; nous sommes sur la bonne voie!

Nous marchons jusqu'à Ranciglione, où nous petit-déjeunons dans un bar. Desiré trouve la serveuse du café « frizzante », c'est vrai qu'elle est pétillante ; sa bonne humeur communicative encourage les autres consommateurs à nous souhaiter bonne route quand on repars, réchauffés et reposés. Nous achetons des saucisses, car nous voulons piqueniquer en haut du mont Fogliano. Nous prenons une route ponctuée de chênes centenaires, les champs biens entretenus sont toujours plantés de noisetiers. Devant une grande ferme aux arbres magnifiques, il y a une source pour nos gourdes vides.

Nous gravissons un ancien volcan. Aujourd'hui le lac Vico, au fond du cratère, est entouré d'un massif montagneux (les monts Cimini) tapissé d'une forêt de hêtres. Le mont Fogliano est un versant de cette montagne. Nous y rencontrons Stephano qui coupe du bois.

Tout en montant, grâce à la bise, nous n'avons pas trop chaud. On décide de manger au col (hauteur 900m). Une fois là haut à l'abri du vent, on s'active pour le feu. C'est la première fois que Desiré fait du feu de cette façon. Le feu est vite allumé, les saucisses piquées dans des baguettes de bois mises sur les braises, et on a assez rapidement le plaisir de manger de délicieuses saucisses chaudes. Et c'est tant mieux, car il ne fait que 2 degrés!

Nous redescendons sans trop traîner, et arrivons à San Martino al Cimino. Cette fois-ci, la porte de la ville franchie, on se rend compte qu'on est dans un lieu différent. Cette ville est ceinte de deux murs, le premier pour rentrer dans la ville, le deuxième pour entrer dans l'immense abbaye que fut San Martino al Cimino. Tout converge et s'ordonne en fonction de cette abbaye. Par chance, l'église est ouverte, immense, en pierre grise, à l'acoustique remarquable. Emmanuel chante un Salve Regina qui empli tout l'espace. Pause cappuccino, et c'est reparti jusqu'à Viterbo. On ne peut pas trop traîner car il fait nuit tôt l'hiver. Arrivés à Viterbo, nous allons chez des sœurs pour y laisser nos sacs avant de visiter la ville. J'ai plus l'impression d'entrer dans un hôtel que chez des personnes qui accueillent les pèlerins, mais bon, il fait froid et on est fatigués, tant pis si c'est cher.

Nous allons à la messe, à l'église Saint Sixte (l'un des tous premiers papes), près de la porte de Rome. En entrant dans l'église, c'est le chapelet, comme souvent avant la messe. Il est récité d'une façon telle que je prends la fuite. J'en profite pour visiter l'église. La crèche est très belle, à côté il y a toutes sortes de petits papiers où chacun peut écrire une intention de prière et la punaiser sur un tronc d'arbre prévu pour. Il y a une crypte ronde, paisible, vestige de l'église primitive. C'est Don Angelo qui célèbre la messe. Je trouve ce moment bien triste, presque caricatural: les prières sont débitées, les textes lus à la va vite, l'assemblée dispersée et clairsemée... Mais je sais bien que Dieu est venu habiter au milieu de son peuple, aussi endormi soit-il, et qu'on ne sait pas ce qu'il y a dans le cœur des gens.

Pour se remettre, Emmanuel nous offre un apéro de fête, puis on part à la découverte de la ville : le quartier des pèlerins, avec ses ruelles, ses places, ses fontaines, ses palais aux balcons décorés. La loggia du pape, construite près d'une belle église, et partout encore les lumières de Noël. Nous dînons dans un restaurant « étrusque », très chaleureux, et hop, au lit!

14 janvier 2010 - 20° jour

Viterbo - Bolsena - 32 km

Nous traversons la ville fortifiée de Viterbo, entrant par la porte de la vérité, et sortant par celle de Florence. Nous croisons plein d'enfants de tous âges sur le chemin de l'école. Le soleil levant joue avec nos 4 ombres, qui dansent devant nous sur le sol gelé. Nous longeons le grand cimetière arboré, et prenons une petite route en terre qui bien vite nous amène au milieu des champs, ou paissent des moutons. Derrière nous les monts Cimini sont déjà loin, et devant nous, bâtie sur une colline, Montefiascone est bien visible.

Un moment nous avons la surprise de découvrir de grandes vasques pleine d'eau fumante, cadeau de cette erre volcanique. En 2 temps 3 mouvements, nous voici tout embués de vapeurs, jambes nues, à trempiner dans cette eau à plus de 40 degrés, en plein hiver.

Plus loin, nous marchons sur une très ancienne route pavée de grosses pierres. Combien d'anonymes sont passés par là? Et ceux dont on connait le nom, ces grands voyageurs des temps passés ont certainement foulé ces même dalles : Saints François, Ignace, Dominique et tant d'autres...Ça nous impressionne, et nous réconforte ; nous sommes sur la bonne voie. Mes chaussures n'en peuvent plus, après 12 ans de bons et loyaux services, elles rendent l'âme : les semelles se désagrègent, se décollent et traînent lamentablement à côté des pieds. Heureusement qu'on approche de Montefiascone. Me voilà dotée d'une paire de fines chaussures de gymn dorées, les plus adaptées que l'on ai trouvées dans toute la ville!

Nous déjeunons dans le jardin public, au soleil, près d'un monument aux morts, dont l'ange soutenant avec tendresse le guerrier mourant ressemble à notre psychopompe préféré.

À défaut du célèbre vin blanc de Montefiascone, le « Est est est », qui a fait passer de vie à trépas un teuton, grand amateur de vin de l'époque médiévale, nous nous rabattons sur un vulgaire Tavernello rouge, dont l'emballage en carton a conquis Desiré qui a l'esprit pratique.

Nous allons visiter la belle église médiévale où cet éminent buveur est enterré.

Montefiascone domine de grand lac de Bolsena. Désormais notre route longe le lac et s'incurve au grès des collines, où vent fait bruire le feuillage argenté des oliviers. Nous arrivons de nuit à Bolsena, où les soeurs Giovanna et Stefania nous accueillent avec beaucoup de gentillesse. Deux autres pèlerins sont arrivés, eux vont à Rome. Nous dînons avec Vito le policier de Calabre et Arnolfo l'infirmier de Sardaigne, et nous échangeons les nouvelles de la route, la Francigena, et l'autre tellement plus populaire pour les italiens, la route de saint Jacques.

15 janvier 2010 - 21° jour

Bolsena - Acquapendente - 21 km

Tôt le matin, nous allons dans la doublement célèbre église de Bolsena : Sainte Christine, jeune fille sauvagement martyrisée vers le 3ème siècle y est enterrée. Et un 1263, un prêtre doutant que l'hostie puisse être réellement le corps du Christ, a vu du sang goûter de l'hostie, alors qu'il disait la messe. Pour mettre en valeurs cet événement extraordinaire, une coupole a été construite au dessus de la petite chapelle où le miracle a eu lieu. Aujourd'hui c'est une communauté sensibilisée aux sacrements qui est responsable de cette paroisse. La messe que nous célébrons avec eux traduit bien leur soucis d'accueillir le plus simplement et dignement possible Jésus qui vient.

Après la messe, nous visitons cette grande église. Il y a une grotte taillée dans la roche primitivement dédiée à Saint Michel. Là est installée une très grande crèche, merveilleusement bien mise en cène. Nous remarquons ailleurs, plusieurs représentations de Saint Michel, et c'est près de l'une d'elle que nous disons notre quotidienne « prière des voyageurs ».

Nous traversons tout Bolsena, de l'église jusqu'au château, et continuons de longer le lac, miroitant dans la lumière du matin jusqu'à Lorenzonuovo.

Là c'est la pause repas. Nous sommes encore dans un bar, où, comme dans presque tous les bars, le robinet à bruit qu'est la télé italienne, pollue l'ambiance. On ne se laisse pas désarçonner pour si peu, et autour des sandwichs, nous dissertons sur nos musiques et écrivains préférés, sur l'humanité en général, la délinquance, le mal être, la prison etc... Une femme nous regarde avec insistance, et au bout d'un moment, n'y tenant plus, nous demande qui on est et qu'est ce qu'on fait. Maria lui explique, et Emmanuel lui donne la carte de visite de la route de l'Ange. Intéressée, elle nous donne la sienne, elle est psychologue, et si on a besoin d'un toit ou d'un repas en allant vers le mont Amiata, elle peut nous recevoir chez elle. Nous nous quittons, charmés, et reprenons la route. Nous marchons sur une grande plaine. Le mont Amiata est dans les nuages.

En fin de journée, nous arrivons à Acquapendente. Emmanuel nous dit que la crypte de l'église est remarquable, mais la porte est fermée. Un jardinier travaille, on se renseigne sur le lieu d'accueil des pèlerins, il nous conseille d'aller à la maison Saint Lazare, car la ville organise la saint Antoine, et le gite est bondé de personnes qui répètent pour la fanfare. Pendant qu'on discute, Fernando arrive, avec les clés de l'église, et propose de nous l'ouvrir. Quelle aubaine! La grande crypte romane est une forêt de colonnes décorées de chapiteaux à têtes d'oiseaux, aux feuillages multiples, aux petits bonshommes enfouis dans des palmes. Il y a quelques fresques, l'une d'elle représente Michel pesant une âme. C'est magnifique!

Nous montons à la maison saint Lazare. C'est un ancien couvent Capucin, déserté pendant plus de 30 ans. Il a été remis en état par toutes sortes de personnes, dont des scouts, et sa vocation est d'accueillir les groupes. Deux sœurs habitent là et deux familles dans l'ancienne ferme. Ensemble ils travaillent à l'accueil, et à la restauration du couvent. Je trouve ce partenariat très astucieux: les sœurs, âgées, ont avec elles des jeunes couples, des enfants, avec toute la vie que cela génère, et les familles ont un rythme de prière et une ouverture spirituelle encouragés par le voisinage des sœurs. Sœur Lidia nous montre notre logis, et nous tombons sous le charme. Nous choisissons la cuisine, pour nous installer. Nous la réchauffons en bourrant le poêle de bois. Puis nous allons en ville acheter de quoi cuisiner, c'est l'occasion d'admirer cette belle ville pleine de fontaines. Luca et Barbara, les voisins des sœurs, nous proposent de passer, et nous voilà réunis autour d'une table avec tous leurs enfants, les leurs et ceux qui leur sont confiés. Nous sommes 11 à savourer cette rencontre. De retour « à la maison », Maria concocte une délicieuse omelette aux oignons, avec de la soupe bien chaude. Puis on va chercher des matelas, qu'on mets par terre près du poêle.

16 janvier 2010 - 22° jour

Acquapendente - Abbadia san Salvatore - 33 km

Aujourd'hui, nous gravissons la montagne, et arrivons en Toscane! Nous quittons Acquapendente dans la vallée et, quelques collines plus loin, nous arrivons au joli village de Proceno, accroché sur un promontoire rocheux, sur la paroi duquel les étrusques ont creusé des tombes. L'emblème de Proceno est le sanglier, et en effet la ville est maîtresse de l'art de cuisiner cet animal. Nous achetons du jambon fumé absolument délicieux en vue du piquenique.

Quittant Proceno, la route virevolte au grès des collines bien rondes. Sur presque chaque colline une ferme domine un panorama de plus en plus grandiose. Le mont Amiata en face de nous semble plus proche. On aperçoit des panaches de fumée blanche qui sortent de la montagne. De gros tuyaux captant l'eau chaude de cet ancien volcan, courent le long des pentes pour réchauffer d'immenses serres où poussent des plantes délicates. Nous sommes encore bien loin et le vent souffle fort. Une ruine au soleil nous protège de façon idéale le temps du repas. Et c'est repartit, on monte et descend, et remonte. Maria commence à se lasser, mais son fils lui a dit au téléphone : « Tu as voulu un vélo neuf, maintenant, pédale! » Alors, tranquillement à son rythme, elle avance, sans se plaindre. Je pense qu'ils sont fiers de leur mère de choc. La ville de Piancastagnaio ne semble pas trop se rapprocher, pourtant voilà des kilomètres qu'elle nous nargue, perchée en haut de la montagne, avec son immense palais. J'en compte les fenêtres: 9 ouvertures par côtés, ce qui fait 36 fenêtres à nettoyer par étages...On s'occupe comme on peut quand ça monte. Nous voilà enfin en haut, à la recherche d'un bar reconstituant. L'air vif de la montagne, les immeubles en grosses pierres sombres, le soir qui tombe et la fatigue ne nous donnent pas trop envie de flâner dehors. On trouve un bar, où l'on boit bien au chaud, des litres de coca. J'étais déshydratée!

En sortant du bar, je remarque une statue en terre cuite, représentant grandeur nature, un mineur, maigre, torse nu, tout son corps arc-bouté à son marteau piqueur. Cette statue me touche, mais je me demande ce qu'elle fait là.

Il nous reste encore 6 kilomètres avant Abbadia San Salvatore, et il fait nuit. J'aime pas trop ça, surtout que la route est fréquentée. Enfin, inch Allah!

Nous découvrons avec soulagement qu'il y une piste cyclable un peu en retrait de la route. Et voilà que Domenico, (celui qui était avec nous à Rome), est comme par hasard de passage par ici! Il arrête sa voiture pour nous embrasser et nous donner des friandises. Sacré Domenico!!!

Les 6 derniers kilomètres passent plus rapidement qu'on ne craignait. On traverse tout Abbadia, ville construite autour d'un immense monastère. Aujourd'hui les moines, tellement moins nombreux habitent dans une infime partie de l'ancienne abbaye. Un homme à la carrure massive nous y attend de pied ferme. C'est Fabio, le cinquième pèlerin qui nous accompagne jusqu'à Sienne. C'est un ami de Manou et j'ai marché avec lui dans les Pouilles il y a 12 ans, et c'est avec plaisir que nous nous retrouvons.

Nous visitons l'église abbatiale. Au dessus de l'autel il y a un magnifique crucifix en bois peint. Le Christ représenté est paisible et déjà ressuscité. L'auteur de cette croix est le même que celui de l'abbaye de Sant'Antimo : un fameux artiste!

Un frère nous montre notre grand appartement, et le petit chauffage électrique. Il ne doit pas faire 10 degré, mais il y a plein de couvertures, et l'eau de la douche est chaude.

Nous sommes invités à dîner chez des amis de Manou. Toute la famille nous attend. Vittorio et son fils Simone, viennent nous chercher en voiture. Diva nous a préparé de la cuisine locale. Notamment la soupe du mineur cuisinée à base haricots secs, d'oignons et de sauce tomate. En effet, il y a bien des mines par ici, particulièrement des mines de mercures. Bien des mineurs y sont morts!

Ce soir, autour d'un bon feu de cheminée, nous parlons de ce temps passé avec nos hôtes. Nous goûtons leur vin, leurs légumes. Emmanuel retrouve sa vieille voisine, Ornella, la maman de Diva. La bonne humeur est tellement contagieuse que même le chat, soit disant très sauvage, termine la soirée sur une chaise, à côté de moi!

17 janvier 2010 - 23° jour

Abbadia san Salvatore - Castelnuovo dell'Abate - 26 km

Il fait nuit et il pleut quand nous entrons dans le bar pour le petit déjeuner, en sortant la ville est dans les nuages, mais il ne pleut plus. Nous remarquons une statuette de notre Saint Michel qui vieille sur les conducteurs de bus. La route, au fil des kilomètres, s'élève au dessus d'Abbadia San Salvatore. Tout est dans la brume, on dirait l'Irlande! Après les champs, elle s'enfonce dans la forêt, et au fur et à mesure qu'elle s'élève on découvre, émerveillés, la neige. Il y a des stations de ski, sur le versant nord du mont Amiata, et actuellement les pistes sont couvertes de 40 centimètres de neige. Même si nous sommes loin des pistes, cette montagne m'enchante. Elle fume, gèle, elle contient du mercure, ses eaux si abondantes sont captées et alimentent Sienne, ses forêts sauvages sont magnifiques!

Passé un col, nous descendons à Vivo d'Orcia, où nous frappons chez Paola, une amie d'Emmanuel. Son mari, menuisier talentueux, a fabriqué les stalles de l'abbaye de Sant'Antimo. Paola, toute contente nous fait rentrer dans sa maison, elle nous prépare un café, et sort toutes sortes de bouteilles d'alcool en tout genre. Quand elle apprend que l'on vient de Rome à pied, elle nous dit très bien connaître la route. Jeune fille, le travail était rare sur le mont Amiata, elle travaillait à Rome et faisait souvent la route en bus. Elle était bonne dans une riche famille d'Autrichiens qui l'appréciaient énormément. Elle les a quitté pour se marier avec « son amour d'enfance ». Elle a travaillé avec lui, à la menuiserie, et aujourd'hui, ses fils ont repris l'affaire. Tous habitent près de chez elle.

Après Vivo d'Orcia, nous descendons par un petit chemin qui s'enfonce dans la forêt, entre les arbres et de grosses roches. Plus bas, on entend une furieuse battue de chasse aux sangliers : aboiements, cris, couinements. Notre chemin s'effiloche dans les broussailles, et nous voilà perdus. Heureusement que les gros tuyaux qui amènent l'eau de source à Sienne passent non loin. Nous longeons cet acquedotto jusqu'à une route. On découvre, sur la barrière, un panneau signalant la battue, avec tout le danger que cela représente...Merci Michel!

Pour le déjeuner, Fabio qui a fait les courses la veille a prévu large, mais il faut trouver un abri chauffé. C'est dans le restaurant de Poggio Rosa que nous nous installons. On commande de la boisson en abondance pour ce joyeux piquenique. Nous continuons de descendre le monte Amiata, jusqu'au fleuve Orcia. Plus que quelques kilomètres avant Castelnuovo dell'Abate. Là bas, nous sommes en terrain connu : Emmanuel a été moine plus de 25 ans à l'abbaye de Sant'Antimo, il a gardé de bons amis au village, et notre frère Étienne est encore moine dans la communauté.

Pour moi, mais surtout pour Emmanuel, les lieux sont chargés de souvenirs. Emmanuel retrouve ses frères et moi, j'ai beaucoup d'affection pour certains des moines que je connais depuis si longtemps.

Ce soir, ils ne sont pas du tout disponibles. Cette petite communauté cherche à entrer dans l'ordre des prémontrés. Pour l'instant ils ne sont rattachés à aucun ordre, et cette solitude est lourde à porter. Ils ont fait les démarches pour entrer chez les prémontrés, car ils adoptent depuis leur arrivée ici un mode de vie et une règle inspirés par saint Norbert. Ce soir 2 prémontrés viennent d'arriver de Rome. Pendant plusieurs jours ils vont écouter les moines ensembles et séparément, et sonder leurs motivations. Cette visite leur permettra de décider si les Prémontrés accueillent ou pas, la communauté de Sant'Antimo dans leur grande famille. Je trouve étonnant qu'on soit présents, par hasard, pour entourer notre frère dans son histoire de « famille ».

Dominique, moine responsable de l'hôtellerie, a poussé les feux...Il fait merveilleusement chaud!

Nous allons dans la petite église du village pour la messe. Nous sommes peu nombreux, Mirella, Rosanna et Federica de Castelnuovo dell'Abate, Lucia une amie de pelegrinipersempre qui a bravé le verglas et nous 5. Malgré le froid, la messe est très chaleureuse.

Nous nous installons à l'hôtellerie, autour d'un très joyeux festin préparé par ces dames du village, quant à la petite Gaia, fille de Lorenzo et Federica, elle gazouille gaiement sur les genoux de Maria. Nous sommes touchés par cet accueil!

18 janvier 2010 - 24° jour

Castelnuovo dell'Abate - Ponte d'Arbia - 27 km

Nous descendons à l'abbaye pour la messe. Nous entrons dans la grande église romane. Le lieu respire l'harmonie : les murs sobres et clairs, les colonnes, les voutes arrondies du chœur, les chapiteaux ciselés, les fenêtres laissant entrer à flot la lumière de l'hiver, au centre le massif autel de pierre et le splendide crucifix en bois polychrome, où Jésus paisible, bras ouverts semble nous accueillir. Nous restons en silence.

Quand les moines arrivent, certains viennent nous saluer : Amerigo mon frère jumeau, Dominique, le père André, Jean Charles, et Étienne. On se retrouve avec joie!

La messe commence. C'est l'un des prémontrés qui préside. L'évangile c'est : « À vin nouveau, outres neuves » (Marc 2, 22). On ne pouvait pas mieux tomber pour cette communauté qui veut faire « peau neuve »! Le prêtre tricote avec bonheur les 3 textes bibliques du jour. J'en retiens que la forme est au service du fond, car c'est le fond qui compte. Nul doute que la liturgie de Sant'Antimo est célébrée avec toutes les formes, et la chorégraphie eucharistique parfaitement exécutée, mais pour moi, trop peu accueillante, froide, désincarnée. Je n'y trouve pas ma place. Ça tombe bien, je ne suis ni carmélite à Sutri, ni moine à Sant'Antimo. Et l'Église a suffisamment de mode de célébration pour que chacun puisse s'exprimer. Il a raison, ce qui compte, c'est de célébrer et d'accueillir Celui qui donne et qui Est la Vie, la forme n'est pas essentielle!

Dominique et Étienne nous offrent un café, Jean Charles nous rejoint rapidement pour nous saluer chaleureusement. C'est lui l'abbé, et il a fort à faire avec ses hôtes. Autour du café on prend des nouvelles tous ensemble, puis on se sépare regonflés par ce moment fort, vécu en grande simplicité.

Après une bonne heure de marche, tout en montée, nous admirons l'abbaye, nichée au creux du vallon, dominée par le village blotti sur la colline, au dessus, formant comme un plafond, un ballet de nuages variant du gris foncé au blanc lumineux, dessine des arabesques célestes, et surgissant des nues, le mont Amiata.

Nous tournons le dos à tout cela, et marchons vers Montalcino. Pause repas. Le bar est très animé, bondé de retraités jouant au cartes. On ne passe pas inaperçus. Manou reconnaît un ancien voisin, Fabio plusieurs copains. Quelques sandwichs et verres de vin plus tard, nous reprenons la route. Nous traversons Montalcino, passons devant sa forteresse, dévalons les ruelles, débouchons sur la place où s'élève le palais ducal flanqué d'une haute tour, empruntons de petites rues, passons sous la porte des remparts, et descendons jusqu'à la vallée. Je discute avec Fabio, c'est un ferronnier d'art, son œil d'artiste toujours à l'affut, remarque des quantités de choses. Lui aussi se sent en pleine mue, il est prêt à changer d'outre pour accueillir le vin nouveau.

Nous nous dirigeons vers Buenconvento, où nous achetons de quoi faire des pâtes. Il fait froid, et mes jolies chaussures dorées me font mal au pied. Puis nous repartons sur une petite route parallèle à la via Cassia. C'est la nuit noire, peut être est-ce le ciel étoilé qui suffit à nous éclairer? On y devine la route et c'est suffisant. Je trouve cette expérience amusante, je peux même admirer une grosse étoile filante.

Nous arrivons enfin à Ponte d'Arbia où Giuseppe et Patrizia nous ouvrent une sorte de maison communale.

On s'écroule dans les lits du dortoir, pendant qu'Emmanuel, notre père « spiritoso » nous concocte une plâtré de spaghetti. « Padre spiritoso », c'est comme ça que Desiré et Maria l'ont baptisé car à Rome, lors de la première messe, le prêtre l'avait présenté comme étant notre père spirituel, « spiritual » en italien, mais puisqu'il ne cesse de faire des blagues, elles ont trouvé plus juste de le qualifier de « spiritoso »: qui fait de l'esprit!

19 janvier 2010 - 25° jour

Ponte d'Arbia - Siena - 27 km

Tôt le matin, nous partons. Le ciel est sans nuage et la lumière magnifique, mais il fait si froid que le fleuve que nous franchissons fume. Nous marchons sur une route, la terre est gelée, ce qui nous permet de ne pas nous embourber. Le givre saupoudre toute la campagne, chaque herbe, chaque fil, tout est nappé de blanc. Les flaques ont une croute de glace que nous avons plaisir à casser. À mon approche 3 faisans s'envolent lourdement : cette dernière journée est vraiment exceptionnellement belle.

Au fur et à mesure que le soleil monte, la température se réchauffe, et nous voilà patinant dans la gadoue. On a beau être près de Sienne, la terre n'est pas de cette belle couleur marron rouge, mais plutôt beigeasse. Nous faisons une pause, près d'une grange, couchés dans l'herbe, chauffés par le soleil...C'est un pur bonheur!

Nous arrivons à Grancia di Cuna, en même temps que la camionnette du boulanger. Ça tombe bien, on se demandait où acheter du pain! Celui-ci, cuit au feu de bois, est craquant, parfumé, délicieux! Les clients nous indiquent où demander la clé de l'église, et nous voilà à admirer des fresques réalisées par un grand peintre de l'école de Sienne. Grancia di Cuna est un village silo à grain. Derrière les murs d'enceinte, il y a une immense bâtisse, qui servait à abriter le grain de la ville de sienne. Au fond d'un corridor, nous apercevons un bas relief en terre cuite, représentant un ange dans la nuée.

Nous nous arrêtons dans une pizzeria tenue par des copains de Fabbio, au bord de la via Cassia. Le pizzaiolo est très ennuyé, il a perdu l'une des trois petites plumes en or du pendentif qu'il porte autour du cou. Quand sa première plume s'est cassée, il a divorcé peu après. Là, il vient d'en perdre une autre, alors il craint de perdre sa fille de 13 ans avec qui il s'est disputé la veille...Comme on essaye de le rassurer, il nous raconte sa difficulté d'être père, et vide un peu son sac.

Nous reprenons notre route. Nous croisons des pâtures détrempées où des chevaux, boueux jusqu'aux yeux galopent à notre approche. Bientôt nous apercevons Sienne. De courbes en collines, nous approchons. Un moment, la ville joue avec le relief de la campagne : semblant flotter au dessus d'un champ déjà vert de blé nouveau, il y a l'ange saint Michel, le campanile du Duomo et la coupole ornée d'une sphère dorée, scintillante de soleil, qui vient juste d'être refaite par... Fabio.

Nous traversons de petits hameaux, l'un d'eux abrite la statue de saint Bernardin de Sienne, un homme hors du commun, franciscain des années 1400 et quelques, à la parole de feu, et actuellement patron des publicistes. Nous longeons les murs des faubourgs, grimpons des escaliers et arrivons enfin Porta Romana! Là, Silena et Luciano son mari, Gemma et Mauro nous attendent avec un thé bien chaud.

Ensembles nous allons jusqu'au Duomo, en traversant toute la ville. Silena et Luciano nous disent que les Siennois appellent la boule dorée réalisée par Fabio, la « boule des pèlerins », car étant visible de très loin, elle les dirigeait vers le Duomo et vers l'hôtellerie attenante. Fabio, le pèlerin, l'ignorait, et cette découverte l'émerveille. Nous saluons la grande statue de saint Michel, tout en haut de la façade du Duomo, puis pénétrons dans cette immense église, tapissée de riches œuvres d'art. Ensemble, nous remercions le Seigneur d'être arrivés à bon port.

Nous nous rendons ensuite, au près d'un gardien pour qu'il tamponne notre crédentiale.

Nos amis Siennois nous accompagnent dans une église, pour la messe. Pendant la communion, voyant le peu d'hosties, Emmanuel les fractionne et s'excuse s'il en manque. Nous avons tous communié, le nombre de morceaux correspondant exactement au nombre de convives.

Après la messe, autour d'un petit pot d'accueil, nous faisons plus ample connaissance avec les Siennois. Puis nous nous rendons chez Sylvie, une amie de pellegrinipersempre, pour dîner. Sylvie est professeur de lettres à Sienne. Elle est française, et raconte que grâce aux contrades et au Palio, elle a pu s'intégrer et se faire des amis. Sienne est une ville qui 2 fois par an organise une course de chevaux autour de la piazza del Campo, noire de monde ce jour-là. Chaque quartier, ou contrade, a un cheval qui participe. Le vainqueur gagne un trophée : le Palio, et devient roi de la ville, jusqu'à la course de l'année suivante. Le Palio génère une énergie énorme : 3 jours avant la course toute la ville est décorée. Il y a des défilés en costumes de la renaissances aux couleurs de la contrade, avec des concours de lancer de drapeaux et de roulement de tambours. Pendant toute l'année les quartiers se rassemblent autour de repas, de jeux pour les petits, de fêtes, de répétitions pour les lanceurs de drapeaux, confection des costumes etc...

Nous nous séparons, après ce repas franco italien, mais ce qui réconforte, c'est que la route de l'Ange n'est pas finie.